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mercredi 6 février 2013

Les femmes noires éjectées de l'histoire de l'Amérique au cinéma

Le point commun entre «Django Unchained» et «Lincoln», c'est leur problème avec les femmes

Comment se fait-il que les nouveaux films de Tarantino et Spielberg ignorent à ce point l’œuvre accomplie par les femmes noires américaines pour obtenir leur liberté?

Gloria Reuben et Sally Field dans «Lincoln» de Steven Spielberg. - Gloria Reuben et Sally Field dans «Lincoln» de Steven Spielberg. -
[Avertissement: l'article suivant contient des spoilers de Django Unchained]
La sortie du dernier Tarantino, Django Unchained, un western spaghetti qui narre la revanche d’un esclave, bientôt suivi en France de la sortie du Lincoln de Spielberg, un biopic plus classique (aux Etats-Unis, le second est sorti avant le premier), permet aux spectateurs de se replonger, à un très court intervalle, dans une des périodes les plus sombres de l’histoire des Etats-Unis, qui soulève encore de nombreuses questions.
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Les Américains sont-ils en mesure d’être confrontés au racisme de l’un de leurs présidents les plus populaires? La vengeance ou le désir de réconciliation ont-ils présidé à la réintégration des Etats sécessionnistes du Sud –et des propriétaires d’esclaves– au sein de l’Union? Les propriétaires d’esclaves organisaient-ils vraiment sur leurs plantations des combats d’esclaves, jusqu’à la mort?

Keckley n'est qu'un faire-valoir

Mais une autre question est soulevée par ces films, de manière incidente: comment se fait-il qu’ils ignorent à ce point l’œuvre accomplie par les femmes noires américaines pour obtenir leur liberté? Lincoln dépeint les manœuvres d’un cabinet présidentiel et d’une législature intégralement masculins, avec, malgré tout, quelques interventions de la femme du président, Mary Todd Lincoln, qui font au moins sens sur le plan historique.
Mais tant Broomhilda (Kerry Washington), la femme captive de Django (Jamie Foxx) dans le dernier Tarantino, qu’Elizabeth Keckley (Gloria Reuben), la femme noire libre présentée comme la domestique de Mary Todd Lincoln dans le film de Spielberg, sont des personnages transparents et ne comptent finalement que pour motiver les hommes, Noirs ou Blancs, qui gravitent autour d’elles.
Dans la vraie vie, Keckley avait acheté sa liberté et celle de son fils, et après avoir demandé et obtenu un permis de travail à Washington D.C., elle commença une carrière de couturière qui décolla quand elle commença à travailler pour Mary Anna Curtis Lee, la femme du futur grand général confédéré Robert. E. Lee.
Keckley fit également des robes pour Mary Todd Lincoln et confectionnait ses toilettes pour les grands évènements; elle n’était pas une domestique. Trois ans après l’assassinat du président, Keckley publia des mémoires, intitulés Behind the Scenes, qui, tant dans ses descriptions des époux Lincoln qu’avec la publication de lettres que lui avait adressé Mary, brisaient les normes de l’intimité, sans parler de celles de race et de classe.
Cette histoire est fascinante, et rien n’en transparaît dans le film de Spielberg, si ce n’est le fait que Keckley a effectivement été une esclave. Au lieu d’être présentée comme l’agent de sa propre libération et comme une travailleuse indépendante, Keckley n’est qu’un faire-valoir de Mme Lincoln et sert, dans le film, à illustrer la vision pas si libérale que cela du président sur la question raciale quand il s’adresse à elle: «Je ne vous connais pas, Mme Keckley. Je ne connais personne de votre espèce, lui dit le président pour tenter de lui expliquer sa vision des Noirs américains. J’espère que je m’y ferai.»
Keckley se demande pourquoi elle doit se montrer encore plus exemplaire que toute mère dont le fils se bat pour l’Union. Lincoln n’a rien à lui répliquer et le film ne rend absolument pas justice à tout ce qu’elle a entrepris pour se libérer toute seule et bien avant que le président ne se soit lui-même intéressé à cette question.

Broomhilda, objet du désir des autres

Mais au moins, Keckley parle au président et est témoin du vote, au sein de la Chambre des représentants, du 13e amendement à la Constitution, qui interdit l’esclavage. Dans Django Unchained, Broomhilda est à peine une personne. La plupart du temps, nous ne la voyons que dans l’imagination de Django, nue et radieuse dans une source d’eau chaude en plein hiver ou envoûtante dans une robe de soie jaune. Dans les scènes plus réalistes, elle est fouettée, marqué au fer ou jetée dans une geôle en plein soleil –mais elle demeure toujours magnifique–, ce qui donne une autre dimension aux motivations de Django pour voler à son secours.
Certes, ce que nous dit aussi le film, c’est que, tandis que Django est en train de monter un plan épique pour la faire s’évader, elle monte sa propre tentative d’évasion. Mais Django Unchained s’intéresse davantage à elle en tant qu’objet de désir des autres qu’au courage qui la pousse à tenter de gagner sa liberté par ses propres moyens. Le film se termine avec une image d’elle, ses doigts bouchant ses oreilles tandis que son mari dynamite la demeure coloniale de la plantation où elle a été esclave.
Il est vrai, comme l’a écrit A.O. Scott du New York Times dans sa critique du film, que «l’idée qu’une violence régénérative puisse être utilisée par des Noirs contre des Blancs au lieu de l’inverse –qu’un homme comme Django devienne le chasseur au lieu d’être le traqué– était jusqu’alors littéralement impensable».
Mais ce qui est impensable dans des films est parfois moins ambitieux que ce qui se passe dans la vraie vie. Et ce n’est pas comme s’il n’existait pas d’histoires vraies et ambitieuses à raconter sur les femmes et la lutte contre l’esclavage. Si vous êtes plutôt intéressés par l’action, l’histoire de Harriet Tubman, qui travailla à l’élaboration d’une filière d’évasion pour les esclaves (le réseau dit Underground Railroad), puis comme éclaireur et conseiller tactique pour l’Union, semble un bon point de départ.
Alyssa Rosenberg
Traduit par Antoine Bourguilleau

Sur Slate.fr

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