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mercredi 1 janvier 2014

Un "garden" très "fun"

Un procureur fédéral de Basse-Rhénanie sévit contre la fraude fiscale et l'escroquerie à l'assurance sociale dans les bordels et met le milieu de la prostitution en émoi.
Bordell-Prozess Emmerich: "Fungarden": Zuhälter, Schläge, Betrügereien
   Olga G. est une comptable méticuleuse. Tous les jours, elle note dans son livre de comptabilité les revenus et les dépenses, les services et leur durée.
L'Allemande russe [nom donné aux descendants d'Allemands émigrés en Russie sollicités pour venir vivre en Allemagne après la chute du mur, n.d.l.t.] a été, des années durant, tenancière de bordels à Emmerich en Basse-Rhénanie et effectuait la comptabilité de son compagnon, le bosniaque Esed D., en version double - l'une avec des sommes moindres pour le fisc, l'autre avec des sommes plus conséquentes pour leurs poches personnelles.
   Malencontreusement les cahiers de format A5 avec la double comptabilité étaient cachés à la maison, en partie bien empaquetés dans des sacs en plastique sous le lavabo, là où on les y a trouvés en mars 2012, lors de l'une des plus grandes descentes policières jamais effectuées en Basse-Rhénanie : 250 fonctionnaires - une unité de la douane lourdement armée, les enquêteurs fiscaux, la police et le parquet - ont fouillé les établissements Fun Garden et la Villa Auberge ainsi que les appartements de la quadragénaire et de son compagnon de 53 ans.
  Sur la base d'enregistrements, la justice allemande a accédé aux tenanciers de bordel par un autre côté : celui de la fraude fiscale et du non-paiement des contributions sociales. Déjà, en son temps, le chef des gangsters de Chicago, Al Capone, s'est fait abattre pour fraude fiscale et blanchiment d'argent.
C'est à Hendrik Timmer, procureur de Clèves, qu'est venue l'idée. Et cela lui a réussi. En mai dernier, le tribunal de grande instance de Clèves condamnait le couple à la prison. Depuis, Timmer organise des séminaires par exemple pour la police de Cologne et la police nationale criminelle.
    L'astuce de Timmer a provoqué des remous dans le milieu prostitutionnel de toute l'Allemagne. Les bordels, les maisons de passes et les clubs de "sauna" sont souvent organisés de telle sorte que les prostituées sont censées y travailler - soi-disant ou vraiment - comme indépendantes. Ce modèle commercial répandu partout est maintenant caduque. Depuis le jugement de Clèves, la défense et le parquet se sont pourvus en cassation auprès de la cour de justice fédérale. Ainsi il pourra être judiciairement décidé quand les prostituées devront légalement être considérées, dans les bordels et autres, comme des employées ou non.

    En Allemagne, des milliards d'euros de chiffre d'affaires se font avec le sexe marchand. En 2002, la coalition gouvernementale rouge-verte a sorti la prostitution de l'illégalité et renforcé les droits des prostituées. Depuis, la prostitution n'est plus contraire aux bonnes moeurs : le proxénétisme n'est condamnable que lorsqu'il se révèle exploiteur, entremetteur et dirigiste.
   L'Allemagne est devenue la cible du tourisme sexuel parce qu'ailleurs l'amour achetable n'est pas si facile à obtenir. Une grande partie des prostituées du pays sont des jeunes filles d'Europe de l'est. Beaucoup ont été leurrées par des rabatteurs, des enquêteurs supposent parmi elles des victimes du trafic humain. 
La police et la justice se plaignent de ne pouvoir remédier aux abus qui ont cours dans le commerce de la prostitution. En 2011, il y eut à peine 23 personnes jugés pour proxénétisme ; pour traite humaine, 121.
   Lors de sa loi de 2002, le gouvernement pensait aux travailleuses du sexe volontaires et indépendantes. Elles devaient pouvoir se plaindre de leur salaire et verser des cotisations pour l'assurance maladie, la retraite et le chômage. Elles sont restées une petite minorité négligeable  - 44 femmes sont officiellement inscrites comme prostituées sur les registres de l'assurance maladie dans toute l'Allemagne.
   Lorsque le procureur Timmer a préparé la procédure contre les tenanciers de Fun Garden et de la Villa Auberge, il a trouvé des pièces prouvant que certaines femmes de ces établissements étaient victimes de la traite humaine et avaient été forcées à se prostituer. Mais on se heurte toujours au même problème.
Il n'a trouvé quasiment aucun moyen d'aider ses femmes, il s'en est apercu rapidement. "Beaucoup ont peur de témoigner".
  Timmer vient de la section commerciale du parquet. Lorsqu'il a eu la comptabilité d'Olga G. en main, il a vu là un biais pour sévir contre les tenanciers. "Au fond il s'agit de savoir si les prostituées travaillent en indépendantes ou non. Si ce n'est pas le cas, les employeurs doivent s'acquitter des impôts et verser des cotisations pour l'assurance maladie".
   La tenancière de bordel Olga G. et son compagnon ont affirmé que les femmes travaillaient comme indépendantes chez eux. Il y en aurait eu jusqu'à 1000 entre 2005 et 2011 et elles auraient servi plus de 60.000 clients pendant cette période.
De grands panneaux dans les deux bordels devaient suggérer aux hommes qu'ils avaient affaire à des travailleuses indépendantes qui fixaient elles-mêmes leurs prix.
   Les livres de compte d'Olga G. autorisent à penser qu'il en était bien différemment. On y trouve un catalogue de "contraventions" destinées aux femmes :
50 euros si elles commencent leur service en retard, 10 euros si elles n'ont pas rangé la cuisine ou 100 euros si l'une d'entre elles ne veut ou ne peut plus travailler.
   Elles n'avaient pas le droit d'aborder elles-mêmes les clients ni d'en refuser et le succès de leurs "services" était également enregistré. Chaque client qui notait une pute après le "travail" recevait un bon d'achat de 5 euros. Ce qui a également été décisif pour la justice, cela a été le fait qu'aucune des femmes d'aucun des deux clubs n'avaient eu une chambre à elle. Olga G. indiquait les chambres au moment des passes. Dans les notes on trouve également l'heure, le numéro de la chambre et un trait oblique ou une croix indiquait s'il s'agissait d'un quart d'heure ou d'une demi-heure.
   En moyenne, les femmes payaient 1300 euros par mois aux tenanciers. En partie, elles devaient également payer leur propre "entrée" dans le club - 50 euros par jour. Pour 5 puis plus tard 10 euros, elles pouvaient dormir dans l'une des chambres s'il ne s'y trouvait pas de client. Elles étaient tenues de travailler en équipe de 13 h. à 6 h. du matin.
   La clientèle d'Emmerich venait de la Hollande voisine. Il suffisait de traverser le Rhin et déjà on se trouvait dans "le jardin des délices" comme le prétendait la pub de "Fun Garden" avec "presque chaque jour de nouvelles filles (18+) et une happy hour l'après-midi pour 35 euros". Suivant l'étendue des "services" les clients devaient s'acquitter d'un prix à partir de 50 euros. Les femmes ne recevaient qu'une partie de la somme.
   Timmer et ses collègues ont trouvé des pièces qui prouvaient que des femmes n'étaient pas venues de leur plein gré dans le bordel. Olga G. a plusieurs fois noté dans ses livres de comptes ; environ "2000 euros pour quatre Hongroises". Les filles devaient rembourser l'argent versé [par les tenanciers] aux rabatteurs.
Parmi environ 200 femmes que la police a pu identifier, très peu ont trouvé le courage de témoigner. Elles auraient été attirées en Allemagne avec de fausses promesses puis tabassées pour que leur volonté soient brisée. Leur passeport et leur portable leur auraient été confisqués à leur arrivée dans le bordel. En revanche, deux Allemandes ont témoigné être venues de leur plein gré.
  Au final, il s'est avéré une fois de plus difficile de prouver la traite humaine devant le tribunal. Timmer avait mis en examen douze cas, dans deux seulement d'entre eux, Esed D. a été reconnu coupable. Avec sa fraude fiscal, la partie publique a eu plus de succès. Le tribunal a constaté que les tenanciers avaient fraudé les impôts et n'avaient pas versé de cotisations sociales, le tout pour un montant de 4,1 millions d'euros.
  Esed D. a été condamné à 5 ans et 9 mois de prison, sa compagne et partenaire commerciale à 2 ans et demi pour l'avoir aidé.
Le modèle serait habituel dans toute la branche, dit le défenseur d'Olga G. Andreas Kost. "[Sa mandante] ne s'est jamais considérée comme une employeuse". Les deux bordels auraient été contrôlés par le service des douanes et l'inspection du travail. Même le fisc s'était contenté de 10 euros par jour et par femme.
   En raison des difficultés existantes pour prélever les impôts dans le milieu de la prostitution, les perceptions locales de nombreuses communes ont convenu de prélever une somme forfaitaire par femme - un versement anticipé sur la future déclaration d'impôt ; en Basse-Rhénanie, 10 euros. Dans la réalité les tenanciers des bordels d'Emmerich demandaient l'argent aux femmes mais ne le versaient pas forcément au fisc. Et aucune femme n'a fait de déclaration d'impôt.
   Ce qui n'empêche pas l'avocat Kost de dire : le prétendu emploi indépendant fictif n'a jamais joué de rôle pour les fonctionnaires en relation avec les tenanciers, dans la localité". Il voit dans le jugement du tribunal de grande instance une tentative d'avoir raison de la branche". Holger Rettig du syndicat des entreprises commerciales érotiques s'inquiètent de l'effet de la décision du tribunal. "La sentence du juge de Clèves touchent plus ou moins tous ceux qui tiennent une institution prostitutionnelle". Il se serait déjà tourné vers les assureurs retraite pour qu'ils lui disent quels sont les critères qui font qu'une profession est soumise ou non au versement des cotisations sociales".
   Malgré le succès de son pourvoi en cassation, le procureur de la République Timmer a fait appel de la sentence. Ce qui le gêne c'est qu'Olga G. a été jugée comme aide et pas comme complice. Il espère surtout que la décision de justice portera sur les critères définissant l'indépendance ou non des prostituées.
À Emmerich sur le Rhin, la sentence du tribunal de grande instance n'a quand même pas fait bouger grand chose : le trafic dans Fun Garden s'est arrêté un temps très court après la descente de police. Un nouvel établissement promet maintenant "tous les jours des girls +21 internationales". Il s'appelle Sun Temple et prétend que : "les hôtes féminines sont indépendantes et fixent elles-mêmes le prix de leurs services".

Barbara Schmid (Titre original de l'article : "La comptabilité d'Olga")

Article de "Der Spiegel" 1 / 2014 p. 40/41 traduit de l'allemand par Euterpe 
 

Dans cet article (en all.) sur la même affaire, mais moins édulcoré que celui de Spiegel, cependant moins détaillé sur le plan juridique, il est dit que, d'après l'une des femmes, Nina S., qui aurait témoigné au procès, 90% des femmes de Fun Garden étaient forcées et sous la coupe d'un proxénète + qu'Olga G. les battait.

4 commentaires:

  1. "Lors de sa loi de 2002, le gouvernement pensait aux travailleuses du sexe volontaires et indépendantes. Elles devaient pouvoir se plaindre de leur salaire et verser des cotisations pour l'assurance maladie, la retraite et le chômage. Elles sont restées une petite minorité négligeable - 44 femmes sont officiellement inscrites comme prostituées sur les registres de l'assurance maladie dans toute l'Allemagne."

    LOL 44 prostituées volontaires pour toutes l’Allemagne ça valait le coup de sacrifier des tonnes de femmes pour ça franchement! en tout cas ça m'a bien fait rire leur hypocrisie est sans équivalent!

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    1. Bien vu ! Sauf que le Canada trouve ça cool et veut faire pareil. Il doit y avoir de la chair fraîche féminine ultra pauvre en grande quantité dans le secteur, c'est pour ça. L'Allemagne a vu aussi l'aubaine à la chute du mur. Qu'ils nous racontent pas que tout ça était une petite erreur surtout quand ils s'empressent si peu de la rectifier. Je ne crois pas à leur bêtise. C'est surtout que pour entasser du fric, aucune destruction n'est trop exorbitante.

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  2. je croyais le Canada moins miso que la France! :(

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  3. C'est du racisme. Les femmes concernées sont des natives.
    En Allemagne, racisme pareil. Ce sont des Européennes de l'Est.
    Avec les nationALEs, ils sont respectueux (ou à peu près).

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