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vendredi 19 octobre 2012

La culture du viol : de DSK au verdict de la cour d'assises du Val de Marne

11.10.2012

La culture du viol : de DSK au verdict de la cour d'assises du Val de Marne

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Note actualisée le 12 octobre à 15 h 50.

Le procès des viols collectifs commis sur deux mineures, dans les cités de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), s’est achevé dans la nuit de mercredi à jeudi dernier sur un verdict inique et désastreux, "aussi obligeant envers les accusés qu’inadmissible pour les victimes". [1]

Aujourd'hui, le 12 octobre, le parquet fait appel : "Le ministère public a décidé d'interjeter appel des condamnations et de certains acquittements prononcés à l'issue du procès des viols collectifs de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), a indiqué la procureure de Créteil, Nathalie Becache " peut-on lire sur le site du Monde (AFP, Le Monde, 12 octobre 2012).


Rappel des faits

Au moment des faits, les plaignantes, Nina et Aurélie, avaient entre 15 et 16 ans. Les peines encourues pour les "viols en réunion" vont jusqu’à 20 ans de réclusion. Mais en dépit de la gravité des faits reprochés aux accusés, l’avocate générale n’a requis que des peines modérées - 5 à 7 ans pour 8 accusés, suggérant même à la Cour de les assortir de sursis : pour les 6 autres accusés, elle a argué de ce que les éléments à charge manquaient.

C'est pourquoi "deux accusés ont été condamnés à cinq ans dont quatre avec sursis, un troisième a été condamné à cinq ans dont quatre ans et demi avec sursis et le dernier à trois ans avec sursis. Les quatre condamnés l'ont été pour des viols commis sur Nina, 29 ans. Les quatre hommes poursuivis pour les mêmes faits sur Aurélie, 28 ans, ont été acquittés. Selon un avocat, les condamnés sont ceux qui ont reconnu avoir eu des relations sexuelles avec Nina en les présentant toutefois comme consenties." (AFP/Le Monde, "Procès des tournantes : un naufrage judiciaire", 11 octobre 2012)

A l'annonce des dix acquittements prononcés par la cour, certains dans la salle ont applaudi. L'un des acquittés a estimé possible de se plaindre du "cauchemar" que le procès aurait représenté pour lui...


Le calvaire de deux adolescentes

Le 18 septembre, Le Monde a publié un article retraçant "le calvaire de Nina" : Il "a débuté en septembre 1999. De retour d'une séance de cinéma, elle tombe sur un groupe de garçons buvant et fumant du cannabis. Elle en connaît certains. Le plus hardi lui passe le bras autour du cou, puis les autres l'encerclent. Ils la mènent au dernier étage d'une tour. Le meneur la somme alors de "coucher avec eux". Elle refuse, en larmes. Il la frappe plusieurs fois au visage, tandis que les autres bloquent l'escalier. Le meneur la viole par pénétration vaginale et anale, puis lui impose une fellation. Les autres rient, la maintiennent. Elle rentre chez elle, prostrée. Ses agresseurs l'ont prévenue, si elle parle, ils "brûleront sa maison" et s'en prendront à sa mère et à son frère cadet."

Dans Libération, le 16 septembre, à la veille du procès, Nina a témoigné de ce qu'elle a enduré. Torture prolongée. A la lecture de son témoignage l'on ne peut être qu'horrifiée. Quand elle a trouvé le courage de parler - rouée de coups, le visage fracturé, elle fut hospitalisée -,  "les dix-huit garçons dont elle a pu donner les noms ont nié ou minimisé. Si Nina enchaînait les rapports sexuels avec une quinzaine de types, c’était 'par plaisir', 'parce que c’était une pute'. 'Tout le monde savait' que Stéphanie [Aurélie en réalité] et Nina participaient à des 'tournantes', ont précisé la plupart. Elles étaient 'consentantes' : 'La fille, si elle est là, c’est qu’elle est d’accord.' "



Elles ne sauraient refuser le Phallus


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C'est toujours la même histoire. Toujours.

Souvenons-nous du procès d'Aix, dont les plaidoiries sont consignées dans Viol, le procès d’Aix (idées/Gallimard, 1978).
Les agresseurs d'un couple des lesbiennes avaient eux aussi affirmé que les deux jeunes femmes étaient consentantes, bien qu'ils les aient frappées, bien qu'elles se soient incontestablement défendues, puisqu'elles les avaient blessés...


Quand on ne dit pas d'emblée que les femmes qui déposent plainte pour viol sont de perverses persécutrices de ceux qu'elles n'assumeraient pas de désirer - en substance c'est ce que Iacub écrit dans son plaidoyer pro-DSK et consorts -, l'on juge que l'on manque de preuves pour accuser de viol. Le viol est un crime dont on ne peut tout de même pas accuser de malheureux hommes, déjà accablés par des mères autoritaires et des femmes dominatrices ou manipulatrices...

Mais cherche-t-on vraiment les preuves ? Rien de moins sûr, dès lors que d'emblée, bien trop souvent, la parole des courageuses qui ont franchi la porte d'un commissariat est soupçonnée. Et si ce n'est pas d'emblée, c'est bien vite, trop vite, après. Avec la complicité de certains psychanalystes, adorateurs du saint Phallus et zélateurs de la loi du Père. Souvenons-nous, en mai 2011, Daniel Sibony concluait la note de blog qu'il venait de consacrer à l'inculpation de DSK par cette sentence :  "il n'est pas bon qu'un homme soit "tué" sans jugement sur la parole d'une femme qui s'appuie sur l'hypothèse pathologique la plus extrême".

Pourtant l'avocat pénaliste américain Alan Dershowitz pense - il n'est pas le seul -, que dans l'affaire Diallo versus DSK, le procureur Cyrus Vance n'aurait dû abandonner ni poursuites ni enquête : "Huit à dix minutes de rapport… on ne peut pas parler d'une longue nuit romantique. L'attraction physique est un élément important. S'il avait été un bodybuilder attirant de 28 ans, mesurant 1,85 m, j'aurais compris, ou si la relation avait eu lieu après quatre heures de conversation avec cet homme charmant et brillant. Là, cela s'est passé, non sur le lit mais sur le sol, et l'ADN retrouvé sur les doubles collants de la femme de chambre suggère qu'il a essayé de les lui retirer. Les deux seules explications sont que DSK a payé la femme de chambre ou qu'il l'a forcée. [...] La thèse choisie par les avocats de la défense, selon laquelle la femme de chambre, tombée sous le charme de DSK, aurait décidé par pure bonté de lui faire une fellation, n'a aucun sens, a-t-il déclaré au Figaro le 26 mars 2012. C'est une insulte à l'intelligence humaine, à celle des jurés et à celle du juge." 

Et pourtant c'est cette thèse qui a été retenue, parce que c'est, adressée à toutes les femmes, la non-reconnaissance proclamée de leur droit à disposer de leur corps et de leur désir, qu'elles se prostituent ou pas, d'ailleurs ?



ça nous file la gerbe

Alors, bien sûr, comme l'abandon des poursuites contre DSK, le verdict des assises du Val-de-Marne nous "file la gerbe" - j'emprunte à Marie-Gaëlle Zimmemann, qui dénonce à son tour une "culture du viol, à l'instar de Clémentine Autain dans Un beau jour, combattre le viol et de toutes les féministes |2]. 

Deux adolescentes agressées, frappées, violées collectivement et répétitivement. Deux adolescentes durablement traumatisées 13 ans plus tard - elles ont dénoncé les viols plus de dix ans après leur début et la procédure, ensuite, a traîné - 10 acquittements, et pour les 4 coupables reconnus, des peines allant de trois ans avec sursis à un an ferme.

Même si on espère, bien sûr, que Nina et Aurélie retrouveront le chemin de leur vie - Marie-Gaëlle Zimmermann a raison de le rappeler, c'est aussi, et c'est encore violenter les victimes de viol, c'est leur dénier le droit de se reconstruire, que de les inscrire dans la perspective d'un traumatisme à vie. 

Toutes nous sommes effarées, sidérées, et surtout, surtout, INDIGNÉES par cet énième "permis de violer", en foncière colère. Osez le féminisme ! a dénoncé "un signal extrêmement négatif envoyé aux femmes victimes de violences sexuelles". Françoise Urban-Menninger a dit tout cela fort bien dans son sobre poème "Viols en réunion"

Observons que le signal que donne DSK lorsqu'il prétend revenir sur la scène politique et être cru sur parole n'est pas plus positif : "Je n'ai jamais été condamné" argue-t-il plus ou moins explicitement, donc je suis innocent. Et c'est la société française qui est coupable d'intolérance à l'égard des libertins. Ben voyons ! 

"Dans cette affaire [celle des viols en réunion commis à Fontenay-sous-le Bois], qu’est-ce qui a retenu la justice de faire appliquer des peines plus lourdes et qu’est-ce qui a permis d’en arriver à l’acquittement de 10 des 14 accusés ? interroge le 11 octobre le communiqué de l'association Femmes solidaires. Quel message envoyons-nous à la jeunesse ? Un message d’impunité aux violeurs et un message de découragement aux victimes. Pensons à Nina et Stéphanie qui ont déjà été très éprouvées et font preuve d’un courage incroyable depuis douze années, mais aussi à toutes celles qui n’osent encore parler, et ne sont en aucun cas encouragées à le faire avec ce verdict. Alors que nos militantes interviennent chaque semaine dans les établissements scolaires pour faire reculer les viols et violences sexistes et encourager les victimes à oser une parole, la justice nous rend la tâche encore plus difficile aujourd’hui avec une telle décision, au lieu de légitimer notre action. Les avocat-es des deux parties se retrouvent pour dire que le procès a été « bâclé ». Comment est-il possible aujourd’hui de bâcler une telle affaire, qui a des répercussions sur l’ensemble de la société ?

Rappelons qu’aujourd’hui une femme est violée toutes les 7 minutes, que 25 % des victimes osent porter plainte et que seulement 2 % des violeurs seraient condamnés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et montrent le problème plus global et profond auquel doit faire face notre société.

L’incapacité de la justice à faire face à ce type de dossier nous alerte, une fois de plus, sur les difficultés toujours réelles pour établir la preuve et entendre la parole des femmes victimes. Quelle justice voulons-nous pour les femmes ? Nous savons que les droits des femmes sont toujours difficiles à faire respecter, l’abrogation de la loi sur le harcèlement sexuel en mai, nous l’a rappelé : nous ne pouvons donc minimiser une telle décision juridique, tant elle aura de retentissement sur la vie et l’intégrité physique et psychique des femmes.

Rien ne devrait permettre d’innocenter un violeur et de banaliser des crimes commis à l’encontre des femmes. Pas d’impunité pour les violeurs !"

"On dit souvent, observe Marie-Gaëlle Zimmermann qu'il 'faut frapper deux coups pour faire un traumatisme, le premier coup, dans le réel, étant la blessure, et le second coup étant la représentation du réel' (Cyrulnik [...]). Et elle ajoute : "En matière de viol, le second coup pourrait bien être une décision judiciaire, comme celle qu'a rendue la cour d'assises du Val-de-Marne." Rien de plus juste malheureusement. Nina et Aurélie, insultées par les accusés à plusieurs reprises pendant le procès, sont, selon l'une de leurs avocates, "effondrées" et "détruites" par ce verdict.

Aussi, lorsqu'elle a annoncé aujourd'hui qu'il était fait appel du jugement, la procureure de Créteil, Nathalie Becache s'est-elle empressée de souligner  : "C'est un message à l'égard des deux jeunes femmes qui doivent être restaurées dans leur place de victimes d'atteintes particulièrement graves à leur intégrité physique et psychique" (AFP/Le Monde, 12 octobre).

Sans doute le fait qu'Osez le féminisme et l'ensemble des associations féministes aient dénoncé les "dysfonctionnements" de l'institution judiciaire et une "instruction bâclée" n'est pas pour rien dans cet appel interjeté et ce souci des victimes affiché in extremis. Mieux vaut tard que jamais... 

La ministre des Droits des femmes avait d'ailleurs elle aussi  "exprimé son 'émotion' dans un communiqué, et sa "solidarité aux jeunes femmes". "Un viol est 'un crime', a-t-elle rappelé, " et "les pouvoirs publics et la société doivent permettre aux victimes de mettre les mots justes sur la réalité qu'elles ont vécue" (Le Monde/AFP11 octobre 2012),

L' "absence de soutien" et de "protection" des plaignantes durant tout le temps qu'a duré la procédure atteste elle aussi de l'incurie dont  la justice  française témoigne à l'encontre  des victimes de viol.
Najat Vallaud-Belkacem, consciente de la gravité du problème, a précisé que Christine Taubira, "la garde des sceaux, [était] en train de créer les conditions pour qu'elles  [les victimes de viol] puissent être accompagnées tout au long de la procédure judiciaire, à travers la généralisation sur tout le territoire des bureaux d'aide aux victimes". Et elle a reconnu qu' "une priorité est de permettre une accélération de ces procédures." (propos rapportés par Le Monde/AFP, 11 octobre 2012).



 Le continuum des violences

Mais aussi longtemps que la police et la magistrature ne seront pas formées en bonne et due forme - avec cursus accéléré en études de genre, notamment - et suivies par des psychologues elles/eux aussi rompuEs à la déconstruction des représentations et des assignations genrées (il n'y en a pas beaucoup qui ne donne pas dans les leurres phalliques....), la parole des femmes osant porter plainte pour viol et/ou violences risquera fort de continuer à être disqualifiée, au profit de la parole de ceux qui les nient en tant que personnes. 



Ces derniers temps, le sexisme et la misogynie se sont donnés libre carrière dans les médias. La disqualification médiatique des femmes - rappelons que la une de L'Express de cette semaine dénonce "ces femmes qui gâchent la vie" à François Hollande - n'aide pas à ce qu'elles soient entendues lorsqu'elles se plaignent de violences : le sexisme et la misogynie constituent le premier degré d'un continuum qui mène au viol (requalifié en sexualité consentie) et au meurtre (rebaptisé 'crime passionnel')... Nous en parlions longuement l'an dernier avec Natacha Chetcuti, au moment de la première des affaires DSK.

Une manifestation aura lieu le 15 octobre à 18 h 30, devant le ministère de la Justice, à Paris, à l'appel notamment du Collectif national pour les droits des femmes.


Une pétition, rédigée par un collectif d'assocations féministes et adressée au président de la République est en ligne ici : il s'agit d'obtenir qu'une vraie réponse politique soit donnée au problème du viol et des violences perpétrées contre les femmes :
"Un grand débat public sur les violences faites aux femmes doit être lancé dans les mois qui viennent et déboucher sur des politiques publiques à la hauteur du défi : éradiquer les violences faites aux femmes :
- Les lois en vigueur doivent être appliquées et complétées de nouvelles dispositions législatives, comme l’extension de l’ordonnance de protection aux victimes de viol ;
- Les professionnels doivent être formés ;
- Les plaignantes doivent être soutenues, hébergées, protégées, entendues ;
- Les associations doivent avoir les moyens de remplir leurs missions ;
- Les campagnes de prévention doivent être multipliées ;
- Tous les jeunes en particulier au sein de l’école doivent être informés, éduqués, entendus aussi quand ils sont eux- mêmes victimes

Monsieur le Président, nous sommes révolté-e-s. Nous ne voulons pas de grands discours. Nous attendons des actes."



1. Extrait de la note de Christine Le Doaré, quelquefois légèrement modifiée  : http://christineld75.wordpress.com/2012/10/11/aux-assises...

2. C. Autain, Un beau jour... combattre le violMontpellier, éditions indigène, 2011.
20:13 Écrit par Sylvie Duverger


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3 commentaires:

  1. Putain ça craint d'être une féministe...

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  2. Ah non au contraire @Quentin, c'est le pied d'être féministe !

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  3. ah non @Quentin, ici "on baise gratis" (comme dirait mon père) et on ne rase pas gratis !

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