09/12/2012
Dans l'affaire du Sofitel DSK avoue être coupable
Nous republions ici, avec leur accord, un article de la sociologue Christine Delphy, publié le 9 décembre sur l'excellent blog de Didier Epsztajn, entre les lignes entre les mots.
Il ne faut pas juger le système judiciaire américain à l'aune du système judiciaire français
Les
journaux français répètent à l’envi que la recherche par DSK d’un accord
financier n’est pas un aveu de culpabilité. Les chaînes de télévision
font venir le même avocat qui est cité par la presse écrite pour dire la
même chose ; et personne ne dispute ni ne discute cette assertion.
Le système américain est différent sur beaucoup de points du système français.
Dans le système français, l’aspect civil – le dédommagement des
victimes – est compris dans le procès pénal. S’il n’y a pas de
condamnation au pénal – donc par l’État – il n’y a pas non plus de
dédommagements pour les individus qui s’estiment lésés : les parties
appelées civiles par opposition au procureur qui représente la chose
publique.
Aux
États-Unis en revanche le procès pénal est uniquement pénal : l’État
poursuit, et jamais il ne demande de dédommagements ; s’il estime
l’accusé coupable, il ne peut demander qu’une sanction. En France aussi
la différence est claire, si on prend la peine de distinguer, dans le
même procès, les plaidoiries des parties civiles - qui ne peuvent
demander que des dommages et intérêts - de celles du procureur qui ne
peut demander que des sanctions. Mais le fait que ces plaidoiries se
suivent dans le temps et dans le même lieu entraîne souvent la
confusion.
Aux États-Unis, le procès civil n’a pas lieu en même temps que le procès pénal. Il se tient des mois plus tard.
Et il
ne juge pas de la responsabilité pénale de la personne accusée puisqu’on
est dans une juridiction civile, qui ne traite que de dommages et
intérêts et pas de sanctions.
Et
pourtant il s’agit de la même chose, de la même affaire. Mais les mots
sont différents : on établit, ou non, la responsabilité de la personne «
défenderesse » ; ce dont elle est responsable, ce n’est pas de crime ou
de délit mais d’avoir causé un dommage à autrui. Par exemple, accusé de
meurtres au pénal, au civil O.J. Simpson devient responsable de «
wrongful deaths » : de morts « fautives » ou « commises par faute ».
Bref on évite d’employer les mêmes mots qu’au pénal. Dans le cas de DSK
et Nafissatou Diallo également, le vocabulaire est différent de celui du
procès pénal avorté. « Dommages émotionnels permanents » au lieu de « viol » d’un côté, «responsabilité» au lieu de « culpabilité » de l’autre.
Aux États-Unis, le procès pénal est une session de rattrapage
Ce qui est différent aussi par rapport à la France, c’est qu’aux États-Unis le procès civil, peut servir de session de rattrapage d’un procès loupé au pénal. Car les conditions nécessaires à une condamnation au pénal sont beaucoup plus difficiles à réunir qu’en France :
il faut que les 12 jurés soient unanimes – tous d’accord – et de plus
que chacun soit convaincu de la culpabilité au delà d’un doute
raisonnable. Enfin, l’accusé peut rester silencieux pendant tout le
procès ; il n’a pas, comme il doit le faire en France, à répondre aux
questions du président.
Or dans
le procès civil, il est beaucoup moins difficile d’obtenir une
condamnation, qui portera sur des dommages et intérêts, et qui aura donc
établi la réalité de ces dommages. Il suffit que 9 jurés sur 12 se
prononcent. D’autre part ces jurés n’ont pas à être convaincus «au delà d’un doute raisonnable» : il leur suffit de penser que la majorité des preuves va dans le sens d’une « responsabilité » du «défendeur».
Enfin, le défendeur doit répondre aux questions des avocats et du président.
Une session de rattrapage, c’est ce qui s’est passé dans le cas d’O.J Simpson, qui avait été acquitté du meurtre de sa femme et de l’amant de celle-ci, bien que les preuves soient accablantes
: lors du procès civil, il a été condamné à d’énormes dommages et
intérêts, qu’il a d’ailleurs réussi à ne pas payer. Mais les parents des
victimes recherchaient avant tout un soulagement moral, à effacer
l’injustice de l’acquittement ; le tribunal, en prononçant ce jugement,
disait que leurs enfants étaient bien mort.es par la faute de Simpson,
qu’il était bien coupable.
Des médias français
qui feignent de croire que DSK plaide coupable sans l'être
Aux
États-Unis, au civil comme au pénal, on peut s’arrêter avant le procès ;
au pénal, on plaide coupable et on négocie avec le procureur une peine,
ce qui évite le travail et l’argent que coûte un procès. Au civil aussi
: dans le cas DSK-Nafissatou Diallo le juge du tribunal de Brooklyn pousse comme d’habitude les parties à trouver un accord,
ce qui sera autant d’économisé pour la Justice. La presse française
traite cela comme une espèce d’arrangement extra-judiciaire, quasiment
comme un paiement au noir : mais c’est faux, c’est un accord prévu par la loi et que le juge doit valider.
La
presse hexagonale prétend aussi que si DSK est prêt à payer des
millions de dollars, c’est «pour ne plus avoir d’ennuis avec la
justice»…. Elle laisse ainsi penser que n’importe quelle femme
peut traîner un homme devant les tribunaux, sans raison, et qu’il n’a
d’autre issue que de payer pour s’en débarrasser. Est-le cas ? Si oui, pourquoi
DSK n’insiste-t-il pas pour aller plaider sa « non-responsabilité »
devant le tribunal, et expliquer, comme le lui demande Kenneth Thompson,
« comment en sept minutes de présence de Nafissatou Diallo dans sa
chambre, il a été capable comme il le prétend d’avoir une relation
sexuelle consentie » ? L’arrangement au civil – le plaider
coupable au pénal – se fait quand l’accusé (au civil le « défendeur »)
pense qu’il n’a pas intérêt à aller au procès, quand il pense que le
procès aura une issue pire pour lui que la négociation. C’est ce que
pense, de toute évidence, DSK. Il n’aurait pas le droit dans un
procès civil de se taire, il devrait s’expliquer, raconter sa version,
et s’assurer qu’elle est convaincante, ou au moins vraisemblable ; une
tâche difficile, et c’est pourquoi l’avocat de Nafissatou Diallo le met
au défi du procès. S’il est prêt à payer, c’est qu’il
sait, et que ses avocats savent, et que tout le monde sait, qu’il ne
parviendra pas à convaincre que Nafissatou Diallo n’a pas été forcée.
S’il est prêt à payer, c’est qu’il sait que s’il va au procès, il sera
jugé « responsable » : sans tâche sur son casier judiciaire, mais
coupable quand même. Ce que tout le monde sait outre-Atlantique, et subodore ici, pourquoi les médias français veulent-ils le cacher ?
Christine Delphy, 4 décembre 2012
Et j'entends ce matin sur France inter que Nafissatou Diallo accusait Strauss Kahn d'agression sexuelle... Effaçons, effaçons.
RépondreSupprimerSur le site du journal le monde, le viol est aussi devenu magiquement une agression sexuelle.
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