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vendredi 4 janvier 2013

C'est d'abord le féminisme qui compte - l'exemple de Leymah Gbowee

Traduction express et brut de décoffrage par Euterpe de l'avant-propos du dernier numéro du magazine "Emma" par sa fondatrice Alice Schwarzer :

Faut-il encore tout recommencer à zéro ?
Sur la stratégie infatigable qui consiste à considérer le féminisme comme secondaire et intimider les femmes engagées.

En novembre, j'ai conduit un débat public avec Leymah Gbowee. Gbowee a vécu des choses inimaginables : violence dans la rue et violence à la maison : 4 enfants morts de faim pendant la guerre civile ; des femmes et des hommes détruits par la guerre civile ; agressions de ses propres rangs - mais aussi encouragements : parfois de son père, parfois de sa mère, parfois d'hommes noirs ou de femmes blanches. Et elle a réussi une chose inimaginable car son engagement fut décisif pour le mouvement de la paix des femmes au Libéria qui conduisit à la chute du dictateur Taylor et porta la présidente Ellen Johnson Sirleaf au pouvoir. Pour cela les deux femmes obtinrent le prix Nobel de la Paix en 2011.
Dans l'autobiographie de Gbowee beaucoup de choses m'ont touché mais rien autant que cette phrase : "nous les femmes nous avons toutes deux seins et un vagin".
Cette phrase symbolique, je l'ai cité un soir sur une scène publique - et dans la salle la plupart des 800 personnes en majorité de condition bourgeoise sont restées figées un court instant. Ils avaient entendu tant d'horreur dans les deux dernières heures sur le continent Africain trahi et oublié mais cela, cela leur parut le plus horrible.
Dans les premiers rangs était assis une dame de la bonne société, blonde, de belle apparence, marquée par la vie (une vie de femme au foyer avec quatre enfants, comme je l'ai appris plus tard). Au début de la soirée elle arborait une mine froide à mon égard, mais là tout a changé. Tandis que nous prenions un verre de mousseux dns le foyer, elle est venue à moi et m'a dit apparemment légèrement pompette : "Que vous ayez osé dire cela. D'abord j'ai pensé...et après je me suis dit : vous avez raison !".
Est-ce que cette femme a encore pensé comme moi à cette phrase le lendemain ? Ou est-ce qu'elle l'a de nouveau refoulée ?
Oui, les combattantes libériennes pour la paix n'ont pas seulement vécu la guerre à l'extérieur mais à la maison. Même Gobwee, qui a obtenu un brillant  diplôme et qui était sur le chemin de l'université - la guerre civile se déclencha alors au-dessus d'elle - elle s'est laissée des années durant traiter de "conne" ("poule bête" en allemand) par son mari et engrosser contre sa volonté. Et puis un jour elle s'est mise fièrement en route. Juste au moment où son mari était allé jusqu'à l'humilier en public, Leymah s'est mise en route.

Nous avons toutes deux seins et un vagin. Quand j'ai écrit "La petite différence" au milieu des années 1970, j'ai fait attention dans le choix de mes exemples qu'ils soient les plus représentatifs possibles pour chaque femme qu'elle vienne de la campagne ou de la ville, de Berlin ou de Munich se reconnaisse. C'est ce qui s'est passé.
Mon livre sur le rôle de l'amour et de la sexualité dans le vie d'une femme et sa relation avec les hommes est devenu un bestseller, un "longseller", jusqu'à aujourd'hui.
Plus que cela "La petite différence" est paru en 9 langues. Au Japon les femmes ont avalé ce livre comme au Brésil. On m'aurait prédit cela avant je l'aurais cru impossible. Mais lorsque je me suis rendue en Grèce en 1980, j'ai appris que "La petite différence" avait été le premier livre traduit après la dictature militaire . C'est ce que m'a dit une sociologue lors d'un repas et elle a ajouté : " Il faut que je vous dise quelque chose, Alice. Je travaille à Chypre avec les femmes de pêcheurs. Nous avons lu "La petite différence" et nous nous sommes réunies tous les mardis soir pour en parler". Les numéros des cas dans le livre sont devenus leur code. Elles disaient : "Je suis le cas n°3...", "Je suis le cas n°10...". C'est là que j'ai définitivement compris que le problème des femmes avec l'amour et la sexualité était universel.
Toutes les femmes peuvent être humiliées simplement parce qu'elles sont des femmes. Toutes les femmes peuvent devenir dépendantes de l'amour. Toutes les femmes peuvent être dégradées comme objet. Toutes les femmes peuvent être violées. Toutes les femmes peuvent être tuées par haine des femmes.

Et c'est exactement cela le coeur de la pensée féministe, c'est la "féminitude", le fait d'être une femme quelles que soient la classe, la couleur de peau, la religion. Ce NOUS, que nous connaissons toutes en tant que femmes, lorsque nous nous regardons dans les yeux, ce NOUS nous pouvons aussi le refouler, le nier mais, au fond de nous, nous savons toutes de quoi il s'agit.
Nous nous l'avouons, ou pas. Cet aveu est le premier pas vers le féminisme. Le déni peut prendre plusieurs formes. De "moi je n'ai pas ce problème" à "il y a plus important". Oui, il y a beaucoup de problèmes dans le monde, énormément, mais pour une femme il n'y a pas plus important, seulement aussi important. C'est sur la compréhension de cela qu'est basé le féminisme.
L'inégalité structurelle entre hommes et femmes placé quasiment dans le berceau peut peut-être être relativisée entre une femme particulière et un homme particulier mais pas écartée. L'inégalité sexuelle est le modèle sur lequel est bâti tout autre inégalité. C'est seulement lorsque le socle des inégalités sera ébranlé que toutes les autres inégalités s'effondreront comme un château de cartes.
Déjà le mouvement allemand des femmes avait été décapité en 1914 avec cet argument : il y a plus important que la question des femmes, il y a celui de la guerre (alors que la guerre n'est qu'un rameau de la folie de la virilité, cependant célébrée également par des femmes). Et quand le nouveau mouvement des femmes des années 1960/début des années 1970 a démarré, il y a eu aussi très vite plus important : la question de la lutte des classes. "L'inégalité principale" et "l'inégalité secondaire" c'est comme cela que l'appelaient les camarades dans leur vocable. Et si quelqu'une se permettait de prononcer le mot "femmes" sans avoir au moins trois fois auparavant juré de sa foi en la lutte des classes, elle se faisait taxer de "petite bourgeoise réactionnaire".

40 ans plus tard cela recommence en Allemagne.
Du moins dans le cercle des féministes intellectuelles de gauche qui ont particulièrement le vent en poupe à l'université en ce moment. Il y a de nouveau quelque chose de plus important que la lutte contre le sexisme , à savoir l'antiracisme. Et d'après les débats que l'on entend à l'université tous les "people of colour" et leur suite ont raison - et tous les blanc.he.s tort. Et celle qui a le plus tort est la "bourgeoise moyenne blanche privilégiée", comme il est dit en ce moment dans la blogosphère féministe, blogo qui se couche à l'énoncé de tous les dictats des sectairesses (au féminin dans le texte).
Mais si on regarde de près cette affaire qui a démarré autour de la "Slutwalk" et de la "Mädchenmannschaft", il ne s'agit pas du tout de racisme - mais d'islamisme. J'ai déjà fait plus d'une fois l'expérience : la moindre critique envers l'islamisme - pas l'islam, qui est une religion, l'islamisme, lui, est un abus de la foi comme stratégie pour une prise de pouvoir politique- cela fait bientôt 30 ans en Allemagne et certainement pas que là, que la critique est tuée dans l'oeuf avec ce reproche : racisme !
C'est pourtant presque comique que l'islamisme qui est une variante du fascisme, soit défendu avec des arguments de gauche. Mais nous savons depuis longtemps que les extrêmes se touchent. Il y a déjà des unions entre gauche et extrême -droite, ainsi qu'entre islamistes et extrême-gauche ou extrême-droite. Et les changements de camp sont également à l'ordre du jour.
Bref, tout cela est douteux. Mais il y a une chose que nous les féministes ne devont pas accepter : qu'il soit argumenté dans ce sens au nom du féminisme !

(Alice Schwarzer fait allusion là à une querelle qui s'est déclenchée lorsque les Femen de Berlin ont manifesté contre le port de la burqa devant la porte de Brandebourg. Les "Alphamädchen" qui sont des sortes de néo-féministes allemandes très en vogue ont crié sur toutes la blogosphère allemande au racisme) 

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