Pages

jeudi 21 mars 2013

Raconte-moi les Femen... (par Belles Plumes)

Raconte-moi les Femen...

femen.jpg- Mamie, c'est quoi les Femen?...
- Ma petite-fille, c'est une longue histoire qui a commencé dans les années 70 de l'autre siècle... ta grand-mère était encore une toute jeune femme... bien plus tard au début du XXIème siècle, un nouveau mode de féminisme est apparu marchant dans les pas de l'ancien...
Qu'avaient à dire, à montrer et à proposer les nouvelles féministes qu'étaient les membres actifs, jeunes, belles et nues, du mouvement des Femen ayant décrété qu'elles feraient de leurs seins leurs armes? Mouvement né en Ukraine de l'urgence à vivre libres, entières et en pleine possession de leur corps, d'un très petit groupe de jeunes femmes qui, contrairement au féminisme mûr en mesure d'être entendu et relativement compris par la société démocratique française de 1970, avaient à se battre contre les hommes mais aussi contre la dictature des hommes. Contre la religion et contre la confiscation, la marchandisation et la maltraitance de leur corps de femmes.
Être libre n'est pas avoir la possibilité d'user de son corps selon les critères usuels mis en place par une société de fantasme masculin. Vivre libre n'est pas non plus ruser, se servir de ce corps comme arme pour le retourner contre l'homme en lui donnant l'apparence qu'il désire ou que la société désire pour lui, en son nom. En vendant son corps par la contrainte ou en l'offrant, par amour, en le cédant pour une durée indéterminée sous forme de contrat quelqu'il soit, on en revient toujours au même trafic humain et au marché de dupes.
Les Femen ne faisaient pas dans la finesse, elles étaient courageuses, fougueuses et déterminées. Elles se battaient à mains nues, partout, dans de nombreux pays où l'asservissement de la moitié de l'humanité continuait de s'étendre, sous quelque régime que ce soit, d'une façon plus ou moins subtile, plus ou moins inadmissible, mais partout inacceptable. Par la lutte de la rue des hommes et des femmes des gouvernements avaient été renversés sous les dictatures les plus sanglantes et asservissantes, mais changer les mentalités et la société représentait un combat qui devait durer beaucoup plus de temps encore. Elles ne souriaient pas, se montraient agressives mais avec une touche de candeur et de fraîcheur renversantes, comme on peut en trouver dans tout mouvement révolutionnaire à sa naissance.
Les féministes françaises, les dures des dures des années 70, à présent de vieilles dames âgées, comme moi, les observaient avec intérêt et affection mesurée. Jusqu'où iraient-elles? Que produirait ce mouvement? Personne ne pouvait le prédire mais il existait, et renversait les codes usuels de la protestation féminine isolée et sage, installée en ce début de nouveau siècle dans la soumission ou la compétition avec les hommes, et dans toutes formes différentes de renoncements. Il appelait d'autres femmes, celles d'autres pays, de n'importe quel âge.  Elles venaient de Kiev, du Caire ou de Tunis, les unes les autres s'attendre à l'aéroport, portant parfois bébé dans les bras, tenant les plus grands à la main. Même les femmes plus âgées, qui ne pouvaient plus exhiber leur poitrail de la sorte souriaient à les voir et remportaient à travers elles une petite et ultime victoire souterraine. Le mouvement créait un appel d'air excessif, joyeux et violent par sa seule expressivité. Les sociologues, historiennes du féminisme à l'occidentale, fondatrices du MLF, en étaient attendries et baba.
La violence de leur action ne l'était pas dans les faits, nulle victime n'était à déplorer, mais avait lieu au cours d'une transgression de l'ordre établi qui ne faisait pas que sourire. Elles se battaient seins nus, ne les "exhibant" pas comme on pouvait rapidement le penser mais les expurgeant de toute sexualité et maternité. Cela choquait. Ils devenaient simples porteurs de slogans incompréhensibles  maladroitement conceptualisés mais esthétiquement dérangeants, et au-dessus de ces corps libres et fièvreusement agités trônaient d'adorables têtes blondes ou brunes presque passives et classiques, icônes douces de la féminité cerclées de couronnes de fleurs. Elles recevaient beaucoup plus de coups radicalement brutaux qu'elles ne pouvaient et n'avaient l'intention d'en donner. On les tirait à terre par les cheveux, les rouaient de coups de pieds, les empoignaient  sans ménagement maltraitant leur corps vulnérables mais rendus forts par la détermination de la révolte pour les violences passées, présentes et à venir faites aux femmes du monde entier. Grain de sable dans la mécanique à broyer, elles risquaient d'être violées quand elles manifestaient dans les régimes les plus durs qui avaient pour habitude de nier l'être femme et d'écraser toute révolte de cette façon. On les emprisonnait aussi et les expulsait. Elles continuaient.
Par quel phénomène étrange cet activisme au féminin pas angélique du tout, pas serein ni compréhensif, excessif dans sa réponse à l'excès de violences faites aux femmes, n'empruntait-il pas pour autant les chemins caricaturaux et parfois criminels de la dénonciation d'une domination, comme on pouvait le voir par exemple dans celle de la défense par des groupes ultra violents de la cause animale? La réponse à cette question ne se trouvait pas dans leurs objectifs (avaient-elles d'autres objectifs que celui de se manifester?) ni dans les moyens qu'elles se donnaient pour les atteindre mais dans la cause elle-même. Les femmes ébauchaient une libération, montraient de manière extravagante comment elles avaient l'intention de procéder à cette libération, par elles-mêmes et pour elles-mêmes. Elles ne défendaient pas une autre cause que la leur. Ne s'acharnaient pas à libérer un groupe, une espèce, une couche sociale. Elles ne se présentaient pas comme victimes soumises, ni comme soeur, mère ou épouse d'hommes martyrs. Elles sortaient de l'ombre et s'attachaient ensemble à devenir elles-mêmes et apprendre à dire non. Un non sauvage et non négociable. Elles usaient de leur corps comme arme et de leur cerveau pour élaborer une stratégie échevelée qui striait d'art brut les lieux les plus compassés, rigidifiés par l'état ou la religion. Elles n'étaient jamais en panne de créativité pour se faire voir et entendre.
Elles avaient mis sur le devant de la scène la cause internationale la plus universellement laissée en souffrance, celle du corps de la femme, bafoué, ignoré, vendu, loué, dominé, enfermé. Une femme sans un corps de femme qu'elle habite librement ne peut pas, ne sait pas dire non.  

Par bellesplumes.blogs.courrierinternational.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire