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mercredi 8 mai 2013

Les trois jeunes femmes de Cleveland séquestrées, torturées et violées pendant 10 ans par trois hommes : un fait divers ?

Les trois jeunes femmes de Cleveland séquestrées, torturées et violées pendant 10 ans par trois hommes : un fait divers ?

Dre Muriel Salmona,
Présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
le 8 mai 2013,
Nous sommes sous le choc de cette information qui est tombée le 7 mai 2013 concernant trois jeunes femmes de Cleveland aux USA disparues depuis 10 ans qui venaient d’être retrouvées, l’une d’entre elle ayant en l’absence de leurs bourreaux (les trois frères Castro) réussi à alerter un voisin en cherchant à s’évader.

Mais nous avons aussitôt assisté à tout un discours de minimisation et de négation de la réalité particulièrement intolérable avec l’habituelle incapacité de nombreux journalistes et spécialistes de nommer précisément les violences, de parler de leurs conséquences psychotraumatiques, et de les replacer dans un cadre plus politique de violences et de crimes sexistes commis par des hommes envers des femmes. Les mots crimes, viols, sévices, tortures, actes de barbarie ne sont que trop rarement entendus, les journalistes ne parlant surtout que d’enlèvement, de séquestrations, de calvaire, et même de syndrome de stockholm… 

On a également entendu qu’elles « allaient assez bien» «qu’elles parlaient normalement » !… « Qu’il fallait maintenant qu’elles se réadaptent à la vie normale ». Qui peut humainement croire que l’on peut aller « assez bien » après 10 ans de séquestration et les pires violences qu’il soit, après 10 ans  de terreur et de peur de mourir permanente ? Que la souffrance psychique ne soit pas forcément visible, que les victimes soient complètement déconnectées et anesthésiée émotionellement (dissociés) pour survivre et que ce soit un indice de gravité de leurs traumas qui pourront être des bombes à retardement, et de l’intensité de leurs souffrances ne vient à l’idée de personne et de presque aucun spécialiste.

Pour la seule raison qu’elles étaient des femmes : des adolescentes de 14 et 16 ans  (Gina DeJesus et Amanda Berry) et une toute jeune femme de 21ans (Michelle Knight) ont été kidnappées dans la rue, en sortant de l’école, en quittant leur travail et séquestrées pendant 9, 10 et 11 ans pour être privées de toute liberté et de tous leurs droits, terrorisées, violées tout au long de ces années avec la naissance d’un enfant,de ces viols, une petite fille de 6 ans, et d’autres grossesses qui auraient été interrompues par des coups (5 d’après la chaîne américaine NBC ), subissant une torture continue, les pires sévices, les pires atteintes à leur dignité et à leurs intégrité physique et psychique, esclavagisées, transformées en objet sexuel, soumises aux scénarios pervers et à la loi délirante de trois hommes dans une maison qui n’était pas isolée, avec de nombreux voisins autour, dans un quartier populaire, sans que qui que ce soit ne se rende compte de rien… On apprend que des voisins auraient entendu des bruits de choc contre des portes, vu des jeunes femmes à quatre pattes tenues en laisse dans le jardin ?!!!…

Est-ce seulement un fait divers criminel, un crime contre l’humanité de ces jeunes femmes ou bien un crime contre l’humanité, un féminicide qui nous concerne toutes et tous ?

Il ne s’agit pas d’un fait divers, mais d’un fait de société, un fait politique qui illustre la condition des femmes, la domination masculine et la haine sexiste qui peuvent à tout moment se déverser sur elles. Et est tout à fait symptomatique de cette société qui ne veut absolument pas savoir ce qui peut se passer chez leur voisin, leurs amis, leurs proches, leur famille, dans le cadre de leur travail, des activités sportives, des institutions scolaires, des établissements de soin, etc., etc. Que les pires maltraitances, les pires crimes sexuels s’y passent en toute impunité, faut-il le rappeler les études de victimation font état d’au moins 190 000 viols par an en France (en comptant en plus des femmes adultes : 75 0000, les mineurs qui représentent au moins 60% des viols et les hommes, cf chiffres) commis dans 80% des cas par des personnes connues de la victime, seulement 8 % feront l’objet de plainte et 1,5 à 2 % de condamnation : le crime parfait qui assure une impunité quasi totale. Si l’on veut commettre des crimes, des atrocités, des tortures, les violences sexuelles sont ce qu’il y a de mieux pour le faire sans risque, à répétition, dans l’indifférence générale. Ces crimes ne seront pas connus et les victimes ni entendues, ni protégées, ni soignées, et même s’ils sont dénoncées, la grande majorité des victimes ne seront pas crues, traitées de menteuses, ou bien on considèrera qu’il s’agit en fait de sexualité et que la victime était consentante (dans une confusion atroce entre violences et sexualité, avec une vision pornographique de la femme qui aime - la s… - subir les pires violences et sévices sexuels), ou bien que la victime est coupable de s’être exposée, de ne s’être pas assez protégée, pas assez défendue, pas n’avoir parlé assez tôt. On considèrera que ce n’est que parole contre parole, « alors comment faire pour avoir des preuves ?», tout en ne les cherchant pas du côté de l’agresseur et en faisant une enquête à charge du côté de la victime, on déqualifiera plus de la moitié des viols en agression sexuelle dans un déni de réalité effrayant. Les victimes qui auront osé porter plainte seront maltraitées et non protégées tout au long de leurs parcours judiciaire, dans une indifférence et un manque d’empathie étonnants. Les agresseurs ne seront dans leur grande majorité ni inculpés, ni condamnés. Leur intentionnalité et leur logique de prédation et de préméditation ne seront pas recherchées, ni dénoncées, ni reconnues. Qui aura peur pour les prochaines victimes ?

Dans quel monde vit-on ? Comment vivre dans un monde qui tolère la perpétration de ces crimes sexistes sans y réagir ? 

Un monde où être née femme scelle votre destin et fait de vous une proie potentielle où que vous soyez, quelle que soit votre histoire, vos croyances, vos engagements, votre milieu d’origine, votre statut social, vos études, votre travail, votre personnalité, votre âge, votre aspect physique, etc… Destin effarant d’être un jour ou l’autre une proie, sous couvert de sexe, pour un homme ou un groupe d’hommes, et d’être injuriée, agressée, violée, torturée et tuée… d’être condamnée à vivre dans un monde de non-droits, un monde où le féminicide est omniprésent. 

Comment vivre dans un monde ou tout est banalisé, retourné. Les pires crimes ne sont pas nommés. La réalité des tortures qu’ont vécu les victimes n’est pas reconnue. L’impact et les conséquences psychotraumatiques de ces violences sont minimisés, méconnus voir même niés. Et ils ne font quasiment jamais l’objet de diagnostic, de prise en charge et de soin, alors que ces violences sont celles qui sont les plus psychoytraumatogènes et qu’elles entraînent de graves atteintes psychologiques et physiques, alors qu’il est reconnu que ces violences si elles ne sont pas prises en charge sont un des déterminant principal de la santé même des dizaines d’années après (en sachant que les traumatismes sont d'autant plus graves que la victime est plus jeune, les enfant même très petits seront gravement impactés par les violences qu'ils subissent ou dont elles sont témoins). Et - scandale de santé public sans nom - en France (et dans de très nombreux pays) les médecins (qu’ils soient généralistes ou spécialistes) ne sont toujours pas formés en psychotraumatologie et en victimologie, que ce soit en formation initiale ou continue !!!!!… Les médecins ne connaissent pas la réalité des violences subies par beaucoup de leurs patients et surtout patientes, ni les troubles psychotraumatiques, la sidération (la paralysie psychique et motrice au moment des violences) qui va être à l'origine d'un stress dépassé et d'un risque vital (cardio-vascuaire et neurologique avec des atteintes neuronales et des circuits neurologiques), ni les mécanismes de survie neuro-biologiques face au stress extrême (disjonction avec la production de drogues endogènes morphine et kétamine-like) qui entraînent une dissociation (avec une anesthésie émotionnelle et un sentiment d’étrangeté et de dépersonnalisation) et l’installation d’une mémoire traumatique (mémoire émotionnelle et sensorielle piégée qui n’a pas pu être traitée et intégrée par le cerveau et qui va revenir hanter la victime en lui faisant revivre à l’identique ce qu’elle a vécu, ressenti, entendu par des flash-backs, des réminiscences, des hallucinations sensorielles, des cauchemars, au moindre lien qui rappelle les violences), ils n’en  connaissent pas  les conséquences graves sur la santé qu’elle soit physique et mentale, et sur la vie quotidienne des victimes et le risque suicidaire, le risque de conduites à risque et addictives, le risque d’accidents, d’échecs scolaires, professionnels, dans sa vie affective, le risque de marginalisation et d’exclusion, le risque prostitutionnel. Ils sont donc dans leur immense majorité incapables de repérer les violences subies par leurs patientes et leurs conséquences, de les protéger, de proposer des soins adaptées, hors les troubles psychotraumatiques se traitent et on peut déminer la mémoire traumatique, décoloniser les victimes des violences et des mises en scène des agresseurs, et éviter ainsi de grandes souffrances et de très nombreuses conséquences.

Les victimes de viols, de violences sexuelles et de maltraitances sont donc laissées sans soin, sans information : il n’y a quasiment pas de centres de soins spécifiques pour elles, ni de médecins formés ! Il s’agit d’une grave atteinte à leurs droits et une perte de chance pour leur santé ainsi qu’une non-assistance à personne en danger !

Il y a URGENCE alors que les connaissances internationales sur les troubles psychotraumatiques sont bien répertoriées depuis les années 1980 (définition de l’état de stress post-traumatique) ! Que l’on sait que ce sont des conséquences normales que toute victime peut présenter, dues non à la victime mais à la gravité de ce qu’elle a subi et à l’intentionnalité de la détruire de l’agresseur ou des agresseurs. Que les connaissances sur les conséquences sur la santé ont fait l’objet de grandes quantité de publications internationales et que l’on sait qu’avoir subi des violences particulièrement dans l’enfance est un des déterminants principal de la santé de nombreuses années après (cf Felitti et Anda, 2010 : avec des risques non seulement d’atteintes psychologiques, mais également neurologiques, des atteintes cardio-vasculaires, pulmonaires, endocriniennes, immunologiques, digestives, gynécologiques, dermatologiques, etc.). Que l’OMS a reconnu depuis 2010 qu’avoir subi des violences faites aux femmes est un des déterminant principal de leur santé. Que les mécanismes psychologiques et neuro-biologiques en cause et leurs traitements sont de mieux en mieux connus, que ce sont des conséquences logiques d’actes criminels perpétrés dans le but de générer le maximum de souffrance chez les victimes, et d’organiser délibérément chez elles un traumatisme qui sera utile à l’agresseur comme une drogue pour s’anesthésier et mettre en place sa domination.

Qui se préoccupe réellement de ce qu’ont vécu les victimes de violences sexuelles et de sévices physiques ? Qui se préoccupe de ce qu’elles vivent au quotidien, de l’enfer que sont les troubles psychotraumatiques avec une mémoire traumatique qui leur fait revivre continuellement les pires moment, les pires sentiments de terreur et de détresse, les pires douleurs, les pires atteintes à leur dignité ? On les abandonne, sans rien reconnaître de ce qu’elles ont subi, sans remettre le monde à l’endroit, sans les aider à se décoloniser de toute cette violence qui les hante et les torture encore et encore, de toutes les phrases assassines et les scénarios pervers des agresseurs qui organisent chez elles un sentiment de culpabilité et de honte, et une estime de soi catastrophique, sentiments crées de toute pièce et relayés par un entourage contaminé par tous les stéréotypes les plus aberrants. Elles se retrouvent seules, sommées de prendre sur elles, de faire comme si, «de tourner la page», de ne pas se victimiser, à devoir survivre à des souffrances que personne ne pourrait supporter, à des attaques incessantes sur elles, leur incapacité à avancer, à ne pas se plaindre. Dans un retournement pervers particulièrement cruel on les accuse d’être les propres responsables de leurs tourments, de leurs propres destructions, ou bien on les considère comme folles (les troubles psychotraumatiques étant pris pour des symptômes psychotiques par méconnaissance). Quoi de plus horrible à vivre ?… Elles se retrouvent à devoir mettre en place des stratégies de survie pour quand même tenir coûte que coûte faites de conduites d’évitement, de contrôle et de conduites anesthésiantes . Mais ces stratégies hyper coûteuses et invalidantes pour elles, leur seront aussi continuellement reprochées et seront utilisées souvent pour disqualifier leurs paroles. Et le peu de traitement qu’on leur propose est uniquement symptomatique, non rapporté et centré sur les violences subies, et le plus souvent dissociant et anesthésiant, voire violent (camisole chimique, enfermement, contention, électrochocs,…).

Qui se préoccupe de tout ces enfants, de toutes ces adolescentes, de toutes ces femmes qui actuellement qui sont à l’heure actuelle séquestrées par des criminels qui peuvent être leurs proches pour subir des tortures et des leurs parents, leurs conjoints viols à répétitions, qui se préoccupe vraiment de toutes ces femmes qui disparaissent, de toutes ces prostituées qui disparaissent. Combien sont-elles ces victimes qui sont rendues invisibles, qui sont baillonnées, menacées ? Combien sont-ils ces bourreaux qui peuvent commettre les pires crimes en toute impunité ? Elles peuvent être nos voisines. Ils peuvent être nos voisins si serviables, si sympathiques… Ils peuvent être ces personnes importantes, élus, médecins, universitaires, hauts fonctionnaires, personnes du monde du cinéma, des médias que tout le monde ou presque admire…

Il est temps d’ouvrir les yeux, de ne plus tolérer cette violence faite aux femmes et l’impunité dont bénéficie les agresseurs. Il est temps que les victimes soient enfin réellement secourues, protégées, soutenues. Il est temps d’être solidaire des victimes, de s’indigner de ce qu’elles ont subi et de dénoncer les coupables. Il est temps de leur redonner la dignité et la valeur que leur a déniées l’agresseur et ses complices. Il est de temps de leur rendre enfin justice, de leur donner des réparations à hauteur de ce qu’elles ont subi et de les soigner.

Pour cela, il faut agir, dénoncer, demander des compte, exiger, se révolter… 

MOBILISONS-NOUS ! Signez massivement le manifeste Violences et soins.

Exigeons une vraie information sur la réalité de ces violences, la mise en place d’une formation des professionnels de la santé et de tous les professionnels qui prennent en charge et accompagnent les victimes, l’ouverture de centre de crise et de soins pour les victimes de violences, et une justice digne de ce nom.


Dre Muriel Salmona
psychiatre
présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
 

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