Où s'arrête l’affaire DSK?
La séparation du couple DSK/Sinclair a été annoncée par une
dépêche AFP confirmant une information de Closer – magazine people que
le couple poursuit pour atteinte à la vie privée. Mais est-ce vraiment
de la vie privée?
Le 2 juillet, en milieu de soirée, une
dépêche de l’AFP tombe:
«Dominique
Strauss-Kahn et sa femme Anne Sinclair se sont séparés il y a environ un mois,
a confirmé lundi à l'AFP une source proche de l'ancien patron du Fonds
monétaire international. Cette
source a précisé que le couple vit désormais dans deux logements différents à
Paris et ajouté que Dominique Strauss-Kahn allait bien, même si la période
était difficile. La
séparation date d'environ un mois à six semaines, a encore précisé cette source
sous couvert d'anonymat».
Cette information était révélée dès le
jeudi soir précédent, par Closer, magazine people
qui s’enorgueillissait de
l’«exclu»:
«Elle y a cru jusqu'au bout, mais
aujourd'hui, tout est terminé entre eux. Depuis près d'un mois, Anne
Sinclair et Dominique
Strauss-Kahn font appartements et vies séparés. Et c'est
la journaliste qui a exigé qu'il parte…»
Dès le vendredi, Anne Sinclair et Dominique Strauss-Kahn faisaient savoir
par leurs avocats qu’ils poursuivaient le magazine en justice
pour «atteinte à la vie privée». Le même jour (avant l'AFP donc) Reuters
assurait aussi une séparation. Le 29, le New York Times
citait Closer en reprenant leur information.
A partir
de quand ce qui arrive à DSK, celui qui faillit être président avant que le
monde ne s’écroule sous ses pieds, finit-il de relever de l’enjeu public pour
relever exclusivement de la vie privée? Quand arrêter de parler de
DSK?
«Des ramifications immenses»
«Pour nous,
sortir cette information sur la séparation du couple était une évidence»,
explique à
Slate.fr Christophe Vogt, rédacteur en chef France de l’AFP, qui précise
qu'ils ont mis un peu de temps à trouver une source vraiment fiable -
d'où le décalage dans le temps entre la sortie de Reuters et celle de
l'AFP.
«Il peut parfois y avoir des débats sur
certains sujets, mais en l’occurrence, on va largement au-delà de la séparation
d’un couple de célébrités. Il y a des ramifications beaucoup plus larges,
potentiellement immenses».
Anne Sinclair a été un atout dans la défense de DSK à New York, lors
de la plainte déposée au pénal par
Nafissatou Diallo,
qui a débouché sur un
non-lieu.
«Je ne crois pas une seule seconde aux
accusations qui sont portées contre mon mari. Je ne doute pas que son innocence
soit établie», jurait-elle en mai 2011.
L’un
des axes de défense de l’ex-directeur du FMI était d’ailleurs familial.
Christopher Mesnooh, un avocat du barreau de New York,
confiait
au Figaro au début de l’affaire:
«Les
Américains observent très attentivement la présence de l'épouse dans ce type d'affaire.
Si elle reste, elle apparaît comme solidaire de son mari, même si cela ne
signifie pas pour autant qu'elle lui pardonne. Pour la communication, c'est
très important qu'elle apparaisse digne, bien habillée et aux côtés de ses enfants. On fera ainsi en sorte que tout
le monde voie les regards échangés entre les époux pendant le procès. La
communication est huilée jusque dans la gestuelle.»
Surtout,
l’aspect financier intervient. Anne Sinclair, très fortunée,
a financé
la défense de Dominique Strauss-Kahn.
«Pour
l’instant il y a toujours plusieurs affaires judiciaires en cours, rappelle
Christophe Vogt,
notamment au civil avec
Nafissatou Diallo à New York. A l’heure actuelle, juridiquement, on ne sait pas
ce que veut dire leur séparation», mais éventuellement, elle pourrait
provoquer l’insolvabilité de Dominique Strauss-Kahn.
«C’était une information, digne d’être vérifiée et publiée, ce que nous
avons fait, rigoureusement».
Vie
privée, conséquences publiques
La séparation donc, constituerait en partie une affaire publique. Digne
de l’intérêt des citoyens en tant que développement possible des affaires DSK,
personnage public par son parcours (ministre de l’Economie et des Finances,
candidat à l’investiture socialiste à la présidentielle 2007, directeur général
du FMI).
Il y a un an, l’affaire du Sofitel avait semblé faire éclater des
barrières dans la presse française: parce que l’on avait si longtemps tu la vie
privée de DSK, et que tout jaillissait soudain, il ne fallait plus rien laisser
dans l’ombre, comme dans un mouvement de repentance.
«Ce n’est
pas l’affaire DSK qui a tout bouleversé», estime pourtant François Jost,
sémiologue et directeur du Centre d'études sur l'image et le son
médiatiques (
CEISME).
«Le rapport de la presse à la vie privée des
politiques a changé en 2007, le 14 janvier, quand Nicolas Sarkozy déclare son ‘j’ai changé’.
Ca a été une légitimation du passage de la vie privée dans l’action publique.
Ce que Nicolas Sarkozy a poursuivi pendant son mandat, jusque dans la dernière
campagne présidentielle, quand il a parlé de sa femme et de ses blessures sur
le plateau de France 2. Non seulement ce n’est plus interdit de parler de la
vie privée des hommes politiques, mais ce sont eux-mêmes qui l’autorisent.»
DSK,
Paris Hilton
Si parler de la vie privée des politiques quand elle a une influence
sur leur parcours semble désormais légitimé, reste une question: DSK est-il
encore un homme politique?
Le sociologue des médias Jean-Marie Charon juge que non.
«Il est devenu un quidam. Plus personne ne
sait vraiment ce qu’il fait, de quoi il vit. Il est traité comme relevant du
même registre que les people semi-publiques comme Caroline de Monaco».
François Jost va plus loin encore:
«Il y a un rapport
entre ce qu’on sait de DSK et les sexe-tapes de Paris Hilton et compagnie. Paris
Hilton ne compte véritablement dans aucun univers, elle n’est pas grand chose,
mais on raconte ses frasques, encore et encore, on ne sait plus pourquoi si ce
n’est qu’elle exerce une fascination, c’est un personnage. DSK est devenu ça:
un personnage. Le personnage d’homme puissant dégommé par son défaut majeur,
son vice».
Paris Hilton est le personnage récurrent de la presse people
depuis 2004 – année où son ex-compagnon sort leur sexe-tape sur Internet (
Une Nuit dans Paris). Depuis huit ans,
ses frasques, ses coucheries, ses propos font l’objet d’une couverture
médiatique intense.
Déjà, les moindres faits et gestes de DSK
sont ainsi rapportés. Comme dans un court article sur le site du Point
cette semaine, le 4 juillet, titré:
«DSK: c'est une sciatique!», contant que Strauss-Kahn était fébrile, et ajoutant:
«il semble que DSK se soit blessé à la jambe».
Le «
personnage»
de DSK et ses menues aventures sont-ils promis à la même longévité que celle de Paris Hilton?
«Il y a une date de
péremption des histoires médiatiques - c’est toujours le public qui en
décide, quand il y a un effet de saturation, le sentiment que l’histoire ne
progresse plus, qu’elle est redondante. C’est facile de le voir: les audiences
des JT décrochent, les journaux se vendent moins, les articles cliquent moins
sur le Web… »
Mais
l’histoire de DSK n’est pas redondante:
l’affaire
de New York,
l’affaire Banon,
l’affaire du Carlton de Lille. Désormais la
séparation. Il aura fallu un an pour que Dominique Strauss Kahn voie chaque
aspect de sa vie s’écrouler. Et nombre d’incertitudes planent encore, relancées
par les théories du complot comme celle
dénoncée par Edward J. Epstein dans la New York
Review of Books.
Le Concupiscent
François Jost le rappelle:
«Il y a tout dans l’affaire Strauss-Kahn : le sexe, l’argent, le
pouvoir. DSK a les caractères d’un bon personnage dans la tradition des
pièces de Molière. Il a un ‘vice’, un trait de personnalité qui le caractérise
(je ne sais pas comment il faut l’appeler), mais quelque chose qui lui colle à
la peau et le fait tomber. Comme l’avare de Molière, comme le Tartuffe».
Voilà
le Concupiscent.
Dernier acte
Anne Sinclair, c’était l’amour triomphant, celui qui
pardonne tout.
«On a là désormais un acte
supplémentaire pour la tragédie. Il est à terre», selon François Jost.
«On ne sait pas quel sera le dernier acte». On ne sait même pas s'il y en aura un.
Dans les médias il y a ceux qui tiennent par
l’histoire à laquelle ils appartiennent.
«Certains
faits divers peuvent avoir une durée de vie phénoménale, comme l’affaire
Grégory» rappelle Jean-Marie Charon. Ouverte le 16 octobre
1984 par le meurtre de Grégory Villemin, qui n’a que quatre ans, elle eut
encore des ramifications très médiatisées
en
2010, voire
en
2012. Les protagonistes de l'affaire Grégory n'intéressent que dans le cadre de l'affaire Grégory.
Et il y a les personnes devenues personnages, qui comme Paris
Hilton tiennent au-delà, contenant en eux-mêmes une histoire. Dominique
Strauss-Kahn appartient aux deux camps. L’intérêt se porte sur les chefs
d’accusation. Mais une potentielle résolution (comme si enfin on savait qui,
réellement, a assassiné Grégory Villemin) ne clora pas cet intérêt.
Jean-Marie Charon rappelle ce mot d’un rédacteur en chef du
Bild: «
Ceux qui sont montés avec nous
dans l’ascenseur redescendront avec nous dans l’ascenseur». Un homme
politique qui a énormément joué de sa relation aux médias, qui a séduit, qui
été raconté comme le prochain président, aura une descente aux enfers plus
longue et plus dure.
Charlotte Pudlowski
Sur Slate.fr