Un flic qui viole une femme sous la menace de son arme, une gamine de 11 ans, victime d’un viol, trainée dans la boue, la plaignante à qui on réclame 2 millions de dollars d’indemnités: la société US laisse-t-elle tomber les victimes ?

Comment se fait-il que nous soyons incapables de rendre justice aux victimes?

Si les événements de ces derniers mois ont transmis un message aux femmes en Amérique, c'est celui-ci: si vous êtes violée ou agressée sexuellement, la justice ne sera pas de votre côté.
Que se passe-t-il quand ceux qui sont censés vous protéger sont les violeurs eux-mêmes – comme à NY, où des policiers ont été, à diverses occasions, accusés de viol?
Que se passe-t-il quand la presse et la population passent autant de temps à décortiquer la vie et la personnalité d'une victime que celles de la personne qui est accusée de l'avoir agressée brutalement (comme le New York Post qui a écrit que l'accusatrice de Strauss-Khan était une prostituée).
Quelle conclusion pouvons-nous tirer quand la tentative d'une victime de viol de s’attaquer à un personnage puissant est déclarée publiquement comme étant "futile".
Les femmes ne peuvent pas gagner. Les structures, les institutions et les organisations censées aider les victimes de viol ne sont souvent que les instruments d'un comportement social qui les accuse des crimes commis contre elles.
Cette semaine a vu l’abandon de l’affaire Dominique Strauss-Khan à l'issue d'un battage médiatique odieux, souvent raciste et sexiste. Puis le jour même, le groupe KBR (ex-filiale d’Haliburton, le plus gros sous-traitant de l’armée US en Irak, NDT) annonçait qu’il poursuivait au civil Jamie Lee Jones, qui avait perdu son procès pour viol contre eux, dans le but d'obtenir 2 millions de dollars pour rembourser les frais de justice (eng.) Jones avait porté plainte contre ses collègues pour viol et contre la compagnie pour avoir cherché à étouffer l’affaire.
En mai, deux officiers de police de New York, qui avaient été filmés par des caméras de surveillance alors qu’ils étaient retournés plusieurs fois au domicile d'une femme en état d’ébriété pour la violer, étaient acquittés (eng.). Les jurés avaient déclaré que c’était en grande partie parce que la victime était ivre (les deux hommes, qui ont tous deux été licenciés par la police de NY, ont été condamnés pour "faute professionnelle" respectivement à des peines d’un an et de deux mois fermes).
Et puis, cette semaine à peine, un officier de police, qui n'était pas en service, était arrêté pour avoir violé une femme sous la menace de son arme, en plein jour, abusant de son pouvoir de façon révoltante.
En attendant, ces affaires n'intéressent pas les grands médias. Alternet racontait récemment l’histoire qui s’est passée à Springfield, Missouri (voir traduction plus bas, NDT), où une fillette avait été ignorée par les autorités scolaires quand elle leur avait signalé qu'elle avait été violée. Pire, ils l'avaient humiliée et renvoyée là où elle allait être à nouveau victime de violences de la part du garçon qui l'avait violée la première fois (il a plus tard avoué le second crime). L’école a continué de nier ses torts, infligeant des sanctions à cette jeune fille traumatisée au lieu de réparer les dommages subis.
Et cela, c’est juste pour ce qui s'est passé cet été. En 2011, les femmes qui ont accusé Julian Assange de viol ont été accusées de travailler pour la CIA, même par des esprits éclairés de gauche comme Michael Moore ou Naomi Wolf.
Lara Logan, après avoir été violée en Egypte, avait dû subir une avalanche de questions sur la place des femmes reporters dans des endroits dangereux (voir billet plus bas, NDT).
Au Texas, une gamine de 11 ans qui avait été filmée alors qu'elle était violée par 14 hommes et adolescents dans une maison abandonnée avait subi les critiques des médias quand un journaliste du New York Times avait évoqué les reproches des habitants de la ville sur les vêtements qu’elle portait et sur son comportement.
Et les républicains ont commencé l'année en tentant maintes fois de faire voter une nouvelle *définition du viol.
Oui, c’est une année affligeante jusqu’à présent, et lire les commentaires sur Internet sur ces problèmes risque de donner la nausée à ceux et celles qui ressentent de la compassion pour les victimes.
Cette réflexion, plutôt d’ordre général, n’a pas pour objectif de reprendre les détails juridiques de chaque cas en particulier. - il y a pléthore d'analyses intelligentes ou stupides dans les médias – mais plutôt d'évoquer le climat que créent ces affaires pour les victimes, et comment ces incidents, ainsi que la manière dont ils sont traités par les autorités, perpétuent et reflètent la culture du viol.
Mais d’abord, qu'est-ce que la culture du viol exactement ? Personnellement, je considère que la culture du viol, c'est l'ensemble des convictions qui découlent du fait que la société part du principe que les rapports sexuels sont une transaction qui implique que les hommes prennent ce que les femmes ont à offrir – mais pas offrir de façon trop enthousiaste, sinon, on les considèrerait comme des femmes faciles – créant ainsi une situation sans issue (et en ignorant la violence qui sort des limites des stéréotypes de genre).
Au début d’un long billet exhaustif sur la culture du viol (eng.), Melissa McEwan de Shakesville dit ceci, qui résume le message contre le viol du mouvement naissant "la marche des Salopes", créé en réaction aux propos d’un policier qui avait demandé aux femmes de ne pas s’habiller comme des putes si elles voulaient éviter d’être violées :

"La culture du viol, c'est de refuser d'admettre que la seule chose qu'ont en commun les victimes de viol, c'est une sacrée malchance. La culture du viol, c'est de refuser d'admettre que la seule chose qu’une personne puisse faire pour éviter d’être violée, c'est de ne jamais se retrouver dans la même pièce qu’un violeur. La culture du viol, c’est éviter de dire que c'est une exigence ridiculement irréaliste, dans la mesure où les violeurs ne s’annoncent pas, ne portent pas de signes distinctifs, ou ne virent pas au mauve fluo.

Cette vague massive d’affaires de viols qui ont eu lieu en 2011, les polémiques diverses et variées qu'elles ont soulevées, et la façon inévitablement déprimante dont elles se sont conclues, sont la parfaite illustration de cet énorme problème culturel.
Commençons par deux exemples, l’un qui s'est passé en hiver et l’autre au printemps, et qui sont en fait diamétralement opposés dans ce que les médias imaginent être l'"éventail des viols".
D’abord il y a Julian Assange, un homme influent accusé de "viol commis par une connaissance", et sur la foi des témoignages de deux femmes. L’un concerne un rapport sexuel forcé qui avait commencé comme un rapport consenti, et un autre concerne la pénétration d’une femme pendant son sommeil. Les deux femmes étaient des femmes battantes qui connaissaient Assange, et toutes deux étaient seules avec lui quand ont eu lieu les agressions présumées.
Les deux femmes ont été attaquées, calomniées, leur identité a été révélée sur Internet, et elles ont été accusées de faire partie d'un soi-disant complot mondial pour faire tomber Assange (tout comme la presse a insinué que l’accusatrice de DSK, Nafissatou Diallo, était le pion improbable d’un complot pour faire taire Strauss-Khan).
Puis, il y a l’affaire du viol collectif au Texas où une bande de garçons et d’hommes ont été filmés en train de violer une jeune fille à maintes reprises et avec brutalité. Dans ce cas précis, il y avait des preuves substantielles, la victime était en dessous de l'âge légal du consentement à l'acte sexuel, et les accusés étaient des hommes relativement peu influents habitant dans une commune pauvre.
Ces affaires ne pouvaient pas être plus dissemblables, et pourtant, là encore, la jeune fille a été calomniée quand des articles parus dans des journaux importants avaient insisté sur son apparence physique, les vêtements qu’elle portait et son comportement, et non pas sur le comportement et le passé des accusés.
Et donc, la leçon à en tirer est claire; si vous signalez un viol banal qui s’est passé chez vous alors que vous étiez seule avec le violeur, c’est de votre faute. Si on vous filme pendant que vous êtes violée par un nombre important de gens, c’est aussi de votre faute. Si vous êtes une femme adulte: coupable; si vous être mineure: coupable. S’il s’agit de votre parole contre celle de l’autre : coupable. S’il y a des preuves matérielles: coupable !
Et cet état d'esprit s’étend au jury. Lisez cet article bouleversant (eng.) sur une femme juré qui s'est prononcée dans l’affaire du viol par le policier, et qui, bien qu'elle éprouvait de l'empathie pour la victime, s'était refusée à condamner l’accusé sous prétexte qu’elle était ivre au moment des faits.
"Il y avait des lacunes dans son témoignage, parce qu’elle ne se rendait pas compte de ce qui se passait ou qu’elle était inconsciente". a déclaré le juré.
Est-ce étonnant, alors, qu’il soit pratiquement impossible d’avoir des jugements clairs et décisifs pour ces crimes dans un système contaminé par les mentalités sociales envers le viol?
Dans des affaires comme celles de Jamie Leigh Jones et de Diallo, il est possible que des gens bien intentionnés ne se soient pas sentis capables de tout simplement se servir de la loi pour obtenir réparation des préjudices subis par les victimes.
Et, est-ce étonnant, dans ces conditions, que, quand elles racontent ce qui s'est passé, certaines vraies victimes enjolivent ou édulcorent leurs récits (Leigh Jones et Nafissatou Diallo ont toutes deux été accusées d’avoir fait cela), pour avoir l'air, en vain, d'être une "meilleure" victime, pour ne pas être tenues pour responsables de quelque chose dont elles sont les victimes?
C’est l’autre aspect essentiel de la culture du viol, qui a été si bien décrit par Amanda Hess (eng.); elle sème la confusion chez les femmes, aussi:

La culture du viol n'encourage pas simplement les hommes à poursuivre même si une femme a dit non. La culture du viol n’enseigne pas seulement aux hommes qu’un manque de résistance physique est une invitation. La culture du viol ne dit pas seulement aux hommes de revendiquer la propriété de tout corps féminin qu’ils désirent.
La culture du viol dit aussi aux femmes de ne pas revendiquer que leur corps leur appartient. La culture du viol dit également aux femmes qu’elles ne doivent pas désirer faire l’amour. La culture du viol dit également aux femmes que dire oui en fait des femmes faciles.
Le viol et les accusations de viol découlent tous deux des rôles qui ont été assignés par la culture du viol. Dans le scénario traditionnel de la séduction, une femme n’est pas censée avoir envie de faire l’amour, et ne doit céder que quand l’homme a réussi à la forcer à céder.
Quand le modèle favori pour des rapports consensuels ressemble furieusement à un viol, tout un éventail de scénarios ratés sont inévitables : la femme ne voulait pas avoir des rapports avec ce type, elle refuse de le laisser faire, elle est violée; la femme cède à la pression exercée par le type pour d’éviter d’autres conséquences graves (comme le fait d’être violée) ; la femme avait envie de faire l’amour depuis le début, mais doit tenir son rôle de femme en prétendant qu’elle a été obligée de faire l’amour.
Heureusement, un grand nombre d’hommes et de femmes modernes rejettent ces conceptions d’un autre âge, mais ces dernières sont loin d’avoir disparu du paysage sexuel.

Ce paysage semble peut-être plutôt sinistre actuellement, mais il y a de l’espoir, grâce aux actions populaires, qui demandent un traitement médiatique juste et qui visent à contrer le scénario de la culture du viol qui est brusquement apparu cette année.
Il existe maintenant des actions en ligne pour rendre les médias responsables de la façon dont ils décrivent les victimes, comme, par exemple, une pétition pour que le Washington Post se rétracte et présente des excuses pour le portrait odieux qu'il a fait de Diallo et une campagne similaire contre le reportage du NY Times (eng.) sur le viol . Et la "marche des salopes", dont le message se résume à: "rien ne provoque un viol si ce n'est un violeur et l’absence de consentement", contribue énormément à déclencher une prise de conscience pour contrer ces échecs retentissants. Quand la justice et l’autorité laissent tomber les victimes, la solidarité, le militantisme et un effort très important pour sensibiliser la population doivent colmater les brèches.

Sarah Seltzer est rédactrice en chef adjointe à AlterNet, chroniqueuse à RH Reality Check et journaliste indépendante. Ses écrits ont été publiés sur Jezebel.com, et sur les sites de the Nation, de Christian Science Monitor et du Wall Street Journal.

Notes:

  • Lara Logan, mythes sur le viol, "forcible" rape et "non-forcible" rape", attaques des républicains contre les femmes et tentatives de redéfinition du viol … voir ce billet.

Et puis, voici l'histoire d'une petite fille de douze ans, violée deux fois dans son école et méprisée par les autorités

Déchirant: une jeune fille de 5ème violée deux fois, et accusée et punie deux fois par les autorités scolaires les deux fois.

La première fois qu'elle a été violée, les autorités scolaires lui ont dit qu'elle mentait. Ils ont même exigé qu'elle écrive une lettre d'excuse à son agresseur et qu'elle la lui remette en mains propres. Remuant encore plus le couteau dans la plaie, l'école l'avait exclue jusqu'à la fin de l'année scolaire. La dramatique série d'événements qui ont suivi indique que les autorités scolaires ont pu avoir véritablement souhaité que la gamine soit agressée, ou punie, pour avoir parlé. Elle était violée par le même garçon l'année suivante dans la bibliothèque de l'école.
D'après le journal local de Springfield, le News-Leader, cette élève de cinquième qui suivait des cours d'éducation spécialisée au collège "Republic" à Springfield, Missouri, avait signalé le viol au printemps 2009.
L'administration scolaire ayant refusé de croire à son histoire, elle avait fini par se rétracter à la suite de "nombreux interrogatoires intimidants". De plus, le rapport d'un(e) psychologue scolaire indiquait que la fillette "oubliait ses propres besoins et aspirations pour satisfaire les exigences des autres dans le but de se faire accepter". En d'autres termes, cette gamine de 12 ans, qui était déjà persécutée, s'était rétractée quand les autorités scolaires l'avaient stigmatisée pour avoir été violée.
Quand elle est retournée à l'école, l'année suivante, les administrateurs avaient refusé à sa mère de lui offrir une surveillance accrue et ne l'avaient pas séparée de son violeur qui, grâce à la lettre d'excuse, savait qu'elle l'avait dénoncé.
Si l'école voulait qu'elle subisse des violences une troisième fois, ils ont été exaucés. En février 2010, selon le dossier d'instruction, "son agresseur avait eu la possibilité de l'empoigner, de la traîner jusqu'au fond de la bibliothèque et de la violer à nouveau.". Cette fois-ci, elle et sa mère avaient signalé le viol à la police, et les examens médicaux révélaient que le sperme était bien celui du garçon qu'elle accusait. Il avait plaidé coupable au tribunal des enfants.
La décision suivante de l'école montrait clairement que ce n'était pas le manque de preuves qui motivait l'administration scolaire pour l'accuser de mentir mais une profonde misogynie : et le comble, c'est que la petite victime de viol de 12 ans était exclue de l'école pour "conduite irrespectueuse" et "démonstration d'affection en public" – deux façons absolument écœurantes de qualifier un viol.
L'école s'acharnait, donc, contre la gamine une quatrième fois, en traitant de "pute" une victime de viol pour une agression qui avait eu lieu dans l'enceinte de l'école, et que sa mère avait cherché à empêcher en demandant qu'ils soient séparés.
(…)
Les administrateurs du district scolaire nient en bloc les accusations de la jeune fille, ainsi que la responsabilité de l'agression, de la même façon qu'ils ont nié le viol.

Kristen Gwynne; Sourced from AlterNet; August 16, 2011

Et puis, voici une pétition en français pour demander que les plaignantes en matière de violence sexuelle aient droit à la justice.