ANgrywOmeNYMOUS


samedi 10 novembre 2012

De Montréal à Fontenay-sous-bois en passant par New-York, un même monde de coupables traités en victimes

Je connais des agresseurs sexuels (vous aussi probablement)

Je suis un peu frappée par la quantité d'agresseurs sexuels que je me rends compte que je connais personnellement. Avec qui j'ai jasé, avec qui j'ai ri, à qui j'ai donné ma confiance, que j'ai même embrassé, et avec qui j'ai même eu des relations sexuelles entièrement consentantes. On sait qu'une agression sexuelle c'est banal; les chiffres et nos amies victimes nous le disent, mais là ça me frappe. Pis ça frappe fort.
Je suis un peu dépassée...
On revient un peu derrière:
Au cas où vous ne le sauriez pas, le sujet d'actualité d'un certain milieu montréalais est les agressions sexuelles. Quelques bombes ont éclaté par-ci par-là et des vernis craquent. J'ai eu le déplaisir d'entendre certaines choses complètement ahurissantes comme “faudrait pas que l'agresseur soit stigmatisé pour toujours” ou “ben tsé < entrez ici le nom de l'agresseur > souffre aussi!”, mais en général cette résistance est minime comparée à l'onde de choc qui refuse de banaliser les agressions ou de victimiser les agresseurs (oui oui, au pluriel). Je suis fascinée de constater cette solidarité, et cette manière collective de gérer les situations. Je suis touchée par les réflexions de certains hommes qui ont pris la peine de rappeler leurs ex fréquentations/blondes pour s'excuser de trucs qu'à l'époque ils n'avaient même pas remarqué qu'ils avaient fait de mal. Mais je suis surtout touchée par ce mur bien étanche créé par mes camarades féministes, y compris moi, qui disons bien haut et fort que c'est inacceptable. Tout ça est excellent pour la discussion et la réflexion, mais aussi pour notre mémoire étant donné que ce genre de situation va se reproduire un jour et que nous devons avoir une mémoire de ce que nous avons fait collectivement pour attaquer le problème, mais aussi pour faire de sorte que les victimes se sentent respectées par nos moyens d'action et de réflexion.


Par contre beaucoup de questions restent...
Je m'interroge beaucoup sur le pouvoir des victimes. En effet, un des seuls pouvoirs qu'il leur reste c'est de dénoncer. Mais si ces situations sont gérées collectivement où est la ligne qui délimite ce qui appartient à la communauté, et ce qui appartient à la victime? Si nous ébruitons les noms des agresseurs dans un souci de sécurité et de ne pas les protéger, n'est-ce pas enlever un peu de pouvoir aux victimes? Je pense spécialement à une victime qui veut elle-même dénoncer publiquement son agresseur une fois qu'elle sera prête. Ne sommes-nous pas en train de lui enlever un peu de ce pouvoir, même si nous ajoutons toujours cette spécification à chaque fois que nous disons le nom de cet agresseur?
Je m'interroge aussi sur l'isolement des agresseurs et leur « réadaptation ». Évidement c'est venu très naturellement pour la majorité des gens de les pousser de leur cercles, voire de les mettre à la porte de leur appartement, mais pour nous tous et toutes qui avons une vision non essentialiste du crime il y a lieu de se poser des questions... Comment est-ce qu'ils peuvent « se soigner »? Pourquoi on en parle comme s'ils avaient une maladie? Comment est-ce qu'on juge qu'ils sont «redevenus corrects»? Pourquoi est-ce qu'on devrait penser à ça? Jusqu'à quel point c'est leur problème individuel à eux seulement?
...
Pendant ce temps, dans un autre cercle, les choses se passent différemment...
Après un viol très brutal, pour lequel l'agresseur sera traduit en justice, celui-ci est revenu tout sourire dans son lieu de travail; le bar dans lequel il consomme beaucoup trop (d'ailleurs il ne se rappelle pas du viol qui a mené sa victime à l'hôpital... comme c'est pratique) et dans lequel il rencontre beaucoup de femmes. La justice bourgeoise a décrété que même poursuivi, il devait bien gagner sa croûte, et comme il travaille dans le bar, cette raison pesait plus lourd que le fait qu'il ait trouvé sa victime dans ledit bar.
Inutile de dire que sa victime fuit le bar depuis ce temps, et probablement même tout le quartier...
Dans cette situation, contrairement à l'autre, rien n'est géré collectivement. Tout le monde le sait, mais personne n'est supposé le savoir alors tout le monde fait semblant qu'illes ne savent rien. La majorité des gens (clientEs/collègues) qui le savent veulent qu'il s'en aille, qu'il change de job... Mais ce n'est pas si simple, il est aussi propriétaire... Évidement il a ses supporters chériEs qui disent des âneries vraiment violentes comme « ben y s'en rappelle pas, ça compte pas! » ou « moi c'est mon ami pis je l'aime faique je vais passer par-dessus », mais ce qui se remarque généralement c'est plutôt un dégoût. Ses partenaires veulent lui racheter ses parts et il n'est pas réfractaire. Il va probablement finir par quitter, mais en attendant il est quand même là. Il est là, tout sourire à servir des shooters à des clientes pendant qu'une partie du staff et de la clientèle fronce le nez de dégoût en le regardant. On m'a demandé de ne pas dénoncer publiquement, de ne pas ébruiter la nouvelle en dehors de ce cercle très fermé. Ce que j'ai plus ou moins fait, même si je ne comprenais plus vraiment ce que je faisais quand j'essayais de calmer mes amies féministes (qui ne viennent pas de ce milieu) qui voulaient poser des actions pour le dénoncer. Je comprends ce qu'on me dit quand on m'explique qu'attirer l'attention négativement sur le bar risque de faire baisser la clientèle, donc de poser une difficulté aux gens qui travaillent là et que j'aime (et même si je ne les aime pas...), mais je ne comprends pas pourquoi protéger l'identité d'un violeur est plus payant que de le dénoncer haut et fort. Est-ce que je suis la seule qui serait contente de voir le bar où je me tiens faire une dénonciation d'un membre de son propre staff? Je ne peux pas y croire...

Autant la première situation me fait sentir la force de notre colère et de notre déception collective, autant cette situation-ci me fait sentir complètement isolée dans mon impuissance et ma colère.
...
Avec tout ça, est-ce que je vous avais déjà parlé de mon ex et de son amie qui s'est fait agresser par un de leurs amis communs il y a de cela des années? Et bien il n'a jamais voulu prendre position et jusqu'à maintenant, bien qu'elle lui ait signifié à plusieurs reprises qu'elle ne voulait plus être invitée dans les mêmes évènements que lui, il invite toujours les deux, lui laissant à elle le « choix » de venir ou non. Devinez ce qu'elle «choisi» tout le temps? Bingo, de ne pas voir son agresseur. Par son choix tellement facile de « ne pas s'en mêler », il contribue à chacune de ses invitations à rappeler à son amie que son expérience n'est pas valide pour lui, et que dans sa définition d'amitié n'entre pas le concept de safe space.
...
J'ai la tête qui va exploser à force de penser à tout ça pis de ne pas savoir quoi faire ...pis ça me fait broyer du noir...
(...pis écouter en loop Scotland's Shame de Mogwai ne m'aide définitivement en rien ...)
 

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