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vendredi 9 décembre 2011

Ce que Sarkozy savait de DSK


LEMONDE | 09.12.11 | 11h41 • Mis à jour le 09.12.11 | 14h58



"Toto", comme l'appellent ses amis, est l'homme de confiance de Bernard Squarcini à la DCRI. Mais ce "flic de gauche" est aussi un "pote" de Julien Dray depuis que, dans les années 1980, aux Renseignements généraux de la Préfecture de police de Paris, il avait été chargé de "suivre" SOS-Racisme. "Le bois de Boulogne, on n'est pas derrière ça, glisse Bernard Squarcini dans la conversation : Ce n'est pas mon truc. On ne fera pas une campagne sale. Les services vont la jouer loyale." La phrase est prononcée l'air de rien, mais résonne presque comme un pacte entre droite et gauche, une offre de paix armée, à la veille de la présidentielle, pour éviter d'ouvrir la boîte de Pandore.

LA "RUMEUR DU BOIS"

Le bois de Boulogne ? Julien Dray voit très bien de quoi parle Bernard Squarcini. Le Monde n'a pas encore raconté que l'Elysée a eu en sa possession une note administrative rédigée par un policier (et depuis passée à la broyeuse) signalant "la présence, en décembre 2006, de M. Strauss-Kahn en fâcheuse posture dans une voiture à l'ouest de Paris", aux abords d'"un haut lieu de rencontres tarifées". Claude Guéant, le ministre de l'intérieur, n'a pas encore avoué au Journal du dimanche que, "oui, [il a] entendu parler de cette histoire". Mais la "rumeur du bois" est parvenue à Julien Dray dès 2007.

Le député de l'Essonne a entendu Nicolas Sarkozy s'offusquer des déballages sur la vie privée, mais sait aussi que l'on ne peut pas faire totalement confiance à la police. Alors, il appelle son ami François Pupponi, le maire de Sarcelles, l'âme damnée de DSK. "Dis à Dominique de faire gaffe. Ils ressortent la vieille affaire du bois de Boulogne." C'est l'avantage – ou l'inconvénient – de partager ses réseaux : entre la Sarkozie et feu la Strauss-Kahnie, infos et intox circulent à vive allure. Mêmes amis, mêmes restaurants, mêmes villégiatures… En mars, Dominique Strauss-Kahn a donné rendez-vous au Pavillon de la Reine, place des Vosges à Paris, à Alain Bauer.

Il est un intime de trente ans de Stéphane Fouks, le patron d'Euro RSCG. Il a participé, en 2007, à la réunion organisée par l'agence autour de Dominique Strauss-Kahn, avant son départ au Fonds monétaire international (FMI). Puis aux réunions de crise, en 2008, après sa liaison avec l'économiste hongroise, Piroska Nagy.

Alain Bauer est aussi devenu le "Monsieur Sécurité" très écouté du président de la République. Qu'importe. C'est lui que DSK veut interroger sur la fiabilité de son téléphone. "On me dit que les Blackberry ne sont pas sûrs ?" "Pas fiables du tout !, lui confirme Alain Bauer. Si tu veux être en sécurité, tu dois mettre une puce cryptée ici", explique-t-il en retournant le téléphone du patron du FMI, qui écoute et remercie.

"ACCOMPAGNATRICES" PRÈS DU BAR, ENTRE MIROIRS ET DORURES

Consultations privées, apartés, mélange des genres, en politique, les amitiés recèlent parfois des mystères. Nous sommes cette fois à L'Aventure, un restaurant proche de la place de l'Etoile où régna naguère la chanteuse Dani. DSK et François Pupponi l'ont souvent fréquenté. A l'heure du dîner, s'y croise une clientèle mélangée et parfois interlope. Il y a un peu moins de deux ans, le directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, ami d'enfance de Nicolas Sarkozy, y fêtait en grande pompe son… anniversaire de mariage.

Bruno Mangel, le patron, est un "très vieil ami" du haut policier, "un type bien" qu'il fréquente depuis des années, explique au Monde le chef de la police française. Comment imaginer que le grand flic et l'homme de la nuit n'évoquent pas ensemble les potins de L'Aventure ? Avant leurs après-midi ou leurs soirées libertines, l'industriel du Nord Fabrice Paszkowski, mis en cause dans l'enquête sur un réseau de proxénétisme hôtelier lillois, dit du "Carlton", avait en effet l'habitude de retrouver ses "accompagnatrices" près du bar, entre miroirs et dorures, autour d'une coupe ou d'un bon plat. DSK les rejoignait parfois. Quelques-uns de ses écarts de conduite sont désormais consignés dans des procès-verbaux.

A L'Aventure, des élus du 16e arrondissement organisent aussi des soirées UMP pour les militants. Le député Bernard Debré fut de quelques-unes d'entre elles. Lorsque, le 15 mai, quelques heures après l'arrestation de DSK à New York, l'urologue explique brutalement depuis la Chine que l'ancien ministre socialiste est un "délinquant sexuel", ce n'est pourtant ni au bois de Boulogne ni à L'Aventure qu'il pense. "Deux de mes patients m'avaient raconté à la fin du printemps leurs virées dans un hôtel de Belgique avec DSK, raconte l'élu UMP. 'Ce n'est pas nous qui payons', m'avaient-ils précisé. J'étais épouvanté. J'ai déjeuné peu après avec Stéphane Fouks, à la Maison du Danemark, pour le mettre en garde." Rien ne change, pourtant. DSK continue à se montrer aussi imprudent, recevant en juin à Washington des amis libertins où se mêlent des prostituées comme "Jade", une mère de famille belge qui arrondit ainsi ses fins de mois.

Pourquoi bousculer ses habitudes, puisque le secret "tient" ? "On parlait souvent de DSK entre nous, avec Bernard [Squarcini] et les autres", explique un ancien haut responsable policier. Un autre, qui œuvre aujourd'hui pour une société d'intelligence économique : "On savait qu'il y avait des problèmes par le service de protection des hautes personnalités, qui était toujours obligé d'aplanir les soucis." Le statu quo perdure.

SARKOZY SE LAISSE ALLER DANS LE SECRET DE SON BUREAU

Alors qu'en juillet, tous les socialistes montent au front pour défendre leur champion empêtré dans le scandale du Sofitel, Nicolas Sarkozy, une fois n'est pas coutume, se laisse aller dans le secret de son bureau. Il a face à lui un homme jeune, intelligent, dont il connaît les sympathies pour la gauche. "Alors, vous allez défendre un type qui s'est tapé une soubrette ? La gauche va soutenir un obsédé sexuel ?", ironise le président. Ni lui ni aucun ministre n'évoqueront pourtant en public les mœurs de Dominique Strauss-Kahn.

C'est le paradoxe de l'histoire. "Le film ce n'est pas : comment on a préservé un secret, mais : comment on a préservé un non-secret", réfléchit aujourd'hui un proche de Nicolas Sarkozy. Personne ne sait comment – ou quand – la droite aurait pu utiliser la "double vie" de DSK. De quelle manière et à quelle date le scandale du Carlton aurait explosé. A-t-il servi à charge dans celui du Sofitel ? Seule certitude : Nicolas Sarkozy connaissait parfaitement les addictions du responsable socialiste.

"Quand j'ai dit que DSK devrait se faire soigner et apprenne à contrôler ses pulsions, les militants m'ont suivi, mais les dirigeants de l'UMP m'ont engueulé", se souvient Bernard Debré. Le 10 octobre, jour où Libération et Le Point publient les fameux textos envoyés par Fabrice Paszkowski au patron du FMI pour organiser leurs "soirées", Renaud Muselier, député UMP des Bouches-du-Rhône, se risque devant le président à une petite blague qui le démange : "Décidément, le PS est aussi pourri au Nord qu'au Sud, à Lille qu'à Marseille !" Le chef de l'Etat ne pipe mot, décourageant les ardeurs de ceux qui, autour de lui, voudraient renchérir. Devant sa chère Isabelle Balkany, il soupirait depuis longtemps : "Les filles le perdront." Face à ses interlocuteurs politiques, début 2011, il préférait : "C'est un jouisseur", "il vit trop". Ou une boutade : "A côté de lui, j'aurais l'air d'un pasteur méthodiste." Jamais il ne campait DSK en adversaire. "Sachant ce qu'il savait, Nicolas n'a jamais imaginé qu'il prendrait le risque de se présenter, décrypte un proche. Il n'était pas dans le casting." Il ne faut pas se méprendre sur le coup de pouce donné par l'Elysée, à l'été 2007, à la candidature de "Dominique" à la présidence du FMI.

SARKOZY NE CROIT PAS À UNE CANDIDATURE DSK

Nicolas Sarkozy a vite compris que le calendrier – la candidature à la primaire socialiste, en juin 2011, la fin du mandat américain, en novembre 2012 – ne serait pas un obstacle à l'ambition du socialiste. Mais il ne croit pas à une candidature DSK. La presse et la justice le rattraperont. Lui préfère jouer au "meilleur DRH de la gauche" et s'offre le plaisir de le pousser à la tête du FMI.

Les deux hommes – ex-députés, avocats d'affaires, venus à la politique sans passer par l'ENA – s'apprécient. Ils se fréquentaient de temps à autre, avec leurs épouses. En 1993, au début de la cohabitation, un premier dîner a eu lieu au Fouquet's : Anne Sinclair présente le ministre du budget à son mari, qui vient de perdre les législatives. Ils se retrouvent sur l'île de la Jatte, chez Cécilia et Nicolas, ou chez le couple Strauss-Kahn-Sinclair, avenue du Général- Maunoury, dans le 16e arrondissement, ou encore chez Jacques Attali pour une pendaison de crémaillère. Entre eux, une forme d'estime et de connivence sociale.

A son "frère" Brice Hortefeux, Nicolas Sarkozy glisse un jour : "Quand je pense comme on m'a emm… pour mon escalier de Neuilly, je ne sais pas comment lui ferait dans une campagne !" A Alain Minc, quand les préparatifs de la course à l'Elysée du socialiste deviennent patents : "Tu sais bien qu'il ne PEUT pas se présenter…"

Et à l'intéressé, les yeux dans les yeux, un jour que le patron du FMI a fait le voyage de Washington jusqu'à la rue du Faubourg-Saint-Honoré : "Dominique, toi et moi, on ne nous aime pas, on est pareils, on est des métèques, on aime le fric et les femmes, raconte Michel Taubmann, le biographe de DSK. Mais les femmes, aux Etats-Unis, ce n'est pas pareil. Je te préviens, fais attention avec les femmes."

C'était en mai 2010, à l'époque où le président prédisait à quelques députés : "DSK n'est pas capable de tenir une campagne présidentielle. Devant moi, j'ai Martine Aubry ou Eva Joly." Il s'était trompé sur l'affiche, pas sur le nom du grand absent. Et n'aurait jamais osé rêver qu'il tombe ainsi, si vite, si loin.

Ariane Chemin

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