Modifié le 12-04-2012 à 13h27
LE PLUS. La femme libérée de son corps ? On en est loin. Selon Pauline Escande-Gauquié, sémiologue, fiction et faits divers s’entrelacent pour consacrer la femme-objet. La soumission et l’esclavage sexuel de la femme demeure un cliché impérissable, puisque constamment remythifié sur l'espace public.
Edité par Amandine Schmitt Auteur parrainé par Isabelle Monnin
La question du corps de la femme est plus que jamais à l’ordre du jour. Suite aux derniers rebondissements sur l’affaire DSK, où l'ancien patron du FMI a qualifié par SMS de "matériel" les prostituées qu’on lui présentait pour ses "parties fines", le sociologue Eric Fassin précise : "une telle affaire parle effectivement, non seulement de genre et de sexualité, des rapports de pouvoir entre hommes et femmes" (dimanche 1er avril, "Le Journal Français des Amériques").
En France, le premier volet de la polémique a commencé en mi-mai 2011. Passé l’effet de surprise du fait divers, la question a alors été posée sur les conditions possibles d’un consentement libre dans un rapport de séduction entre Nafissatou Diallo et Dominique Strauss-Kahn, "étant donné les différences de classe, de race, de genre, d’âge et de pouvoir".
En avril 2012, la polémique s’est à nouveau enflammée autour d’un deuxième volet où il n’était plus question pour l’ex-patron du FMI de rapport de séduction mais tarifé avec des prostituées. On est donc passé de l’affaire au scandale Strauss-Kahn dans le sens où, dans le cas Diallo, il y avait une opposition entre deux parties sur la question du "consentement" alors que dans le cas du "matériel" il n’y avait plus de débat possible mais une dénonciation unanime par rapport à la "dignité" de la femme.
Des fictions sur le corps des femmes
A la suite de ces affaires de mœurs sous le coup des projecteurs, on peut s’enorgueillir, dans le petit monde de la fiction française, d’avoir "relevé" le débat en proposant tour à tour des fictions sur la question du corps des femmes et de sa marchandisation, via des séries sur le milieu de la pornographie.
Notamment avec la deuxième saison de la série "Hard" diffusée tous les lundis soir sur Canal + du 30 mai au 20 juin 2011 ou encore avec la série "Xanadu" diffusée le samedi sur Arte en deuxième partie de soirée du 30 avril au 21 mai 2011 ; et des fictions qui nous parlent de la prostitution dans un autre lieu et une autre époque – celle d’une maison close au XIXe siècle avec le film "L’Apollonide, souvenirs de la maison close" de Bertrand Bonello véritable succès critique de 2011 et en compétition officielle au festival de Cannes 2011 ou avec le démarrage du tournage depuis janvier 2012 de la saison 2 de la série "Maison Close" diffusée sur Canal +. La réalité a rejoint la fiction et la fiction "fait corps" avec la réalité.
Il semblerait donc que le corps des femmes comme une marchandise tarifée soit un enjeu social remettant à l’ordre du jour les rapports de domination qui traversent la société et ses élites. Mais peut-on réellement considérer ces bruits de couloir sur l’espace public comme un moment de transformation sociale en faveur des femmes contre une tradition bâtie sur l’inégalité des sexes ? Suffit-il de médiatiser une transgression pour obliger les différents acteurs de la société à se positionner et donc à réaffirmer un certain nombre de valeurs telle que notamment l’égalité des sexes ?
Ces cérémonies de dégradation statutaire de la femme-sujet à la femme-objet apparaissent comme des symptômes. Ainsi dans ces fictions mêlées de réalité et cette réalité mêlée de fiction (affaire DSK) on peut y lire les fêlures d’un mal. En réalité en croyant dénoncer, faire parler sur la condition de la femme, l’histoire Strauss-Kahn "fait mal" et les fictions sur la pornographie et la prostitution "font le mal".
Pourquoi ?
Faire circuler le mythe de la femme comme marchandise
Le propre de ces fictions n’est pas tant de dénoncer la marchandisation des corps de femmes qu’elles filment – ce que croit confirmer par exemple l’épilogue sur la prostitution contemporaine du film de Bertrand Bonello – que de mythifier un peu plus "une fatigue qui n’a plus d’âge". Un événement devient mythe quand il passe "d’une existence fermée, muette à un état oral, ouvert à l’appropriation de la société" (Barthes, "Mythologies").
Or, rassemblés, il semble que tous ces événements véhiculent un "ce qui va de soi" néfaste sur le corps des femmes, devenu quotidien. En effet, tout ce tapage ne fait en réalité que "célébrer" davantage le corps de la femme comme marchandise et banalise le phénomène. La provocation initiale est engloutie dans une série de clichés qui signalent un peu plus le corps de la femme comme un "objet total" (sexuel, institutionnel, économique, domestique et esthétique).
Il y a à chaque fois le spectacle d’un corps produit de pulsion, de goût et de dégoût, asservi, organisé, classé par la logique de marché. En effet dans "L’Apollonide" comme dans les séries "Maison close" ou "Hard", on est plus proche du "matériel" dégradant de Strauss-Kahn (terme auquel il recourt par SMS pour qualifier les prostituées) que de la "material girl" militante de Madonna en faveur des femmes des années 1980.
"L'Apollonide", caractéristique et pernicieux
Contrairement à ce qu’affirment certains protagonistes de ces fictions qui pensent "en profiter pour parler de féminisme", l’audace d’un débat critique en faveur de l’inégalité des rapports hommes et femmes est la plupart du temps évacuée, la soumission de la femme et même sa mutilation étant consacrées.
Prenons le cas du film 'L’Apollonide" qui selon moi est d’une part caractéristique du phénomène et d’autre part le plus pernicieux car d’une qualité esthétique remarquable. Jean-Marc Lalanne, figure critique des "Inrocks" a clamé d’ailleurs "L’Apollonide" de "chef d’œuvre en bordel" (20 septembre 2011), en soulignant que le long-métrage dénonce "un entrelacs de désir et d’argent, de soumission et de domination".
L'Apollonide - Bande-annonce von hautetcourt
Isabelle Regnier parlait au même moment dans "Le Monde" d’"envoûtantes fleurs du mal" en référence à "l'esprit baudelairien des "Fleurs du mal" qui, selon la critique, est partout, s'insinue dans les moindres recoins, jusqu'à ce mot même, "L'Apollonide", dérivé du prénom d'Apollonie Sabatier, muse du poète". L’Apollonide comme le lieu nécessaire à la société où les hommes viennent se guérir auprès de femmes "purifiées" comme aime à présenter ses filles la mère maquerelle (telle la scène "saine ou pas ?" quand le médecin ausculte les filles l'une après l'autre).
L’écrin pictural dans lequel Bonello filme sa galerie de jeunes actrices n’est d’ailleurs pas des moindres : "La Femme au perroquet" de Courbet, "L'Olympia" de Manet, "La Grande Odalisque" d'Ingres sont les tableaux d’honneur de la maison close. Singulier dans son accomplissement formel, ce film est tenace dans l’empreinte qu’il laisse à nos cerveaux non pas "éblouis" (pour reprendre les propos du critique Lalanne) mais "aveuglés".
Aveuglés car sous ses apparences feutrées, ce film comme la série "Maison Close" sont le miroir de la dernière actualité brutale autour de l’affaire Strauss-Kahn. Les femmes, plus que de simples "objets de désir" ne sont plus que des "bouts de viande" que l’on peut trancher (dans le film le visage de la prostituée "la juive" est tranché tel quel par un client régulier).
Il en ressort une cacophonie invraisemblable qui nous fait oublier que "Les Fleurs du mal" de Baudelaire en dépeignant la grandeur et la misère de la prostitution nous font aussi croire que "la beauté est dans la laideur". Le mythe phallocratique de la prostitution et de la pornographie est une fois encore réactualisé sous des ornements flatteurs alors qu’en réalité la "laideur est dans la laideur" comme nous l’a révélé l’affaire DSK.
Le "petit mal" insidieux
On retrouve dans tous ces évènements le même "petit mal" insidieux : dans ces récits vraisemblables (séries et film), ou vrais (affaire DSK), ce qui dérange c’est qu’"on pense pouvoir y lire, y voir, y déceler toutes les dimensions de la réalité sociale d’habitude découpée en éléments distincts : le politique, l’économique, le religieux, le juridique, l’individuel, le collectif… Ici tout est potentiellement entremêlé, voire interdépendant" comme le souligne l’anthropologue Emmanuelle Lallement ("Nouvel Obs" du 31 mai 2011).
Or, ce qui est en réalité montré, c’est que l’esclavage sexuel de la femme est un cliché impérissable car il est constamment remythifié sur l’espace social soit par le sensationnel (DSK) soit par le fictionnant (film applaudi de Bonello et séries TV). Le corps commercé des femmes en mettant en scène un individu pris dans un corps qui ne lui appartient plus donne du sens à l’inaltérable spectacle de la souffrance et de la peur et donc celui de la Passion.
Ainsi la force du mythe ne serait-il pas de maintenir une représentation avilissante de la femme en prétextant la finalité d’une parole féministe ?
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D'ailleurs, c'est toujours drôle à quel point les critiques de cinéma décernent le brevet féministe aux films qui en sont précisément le contraire(et vice versa, je pense à un article de Burdeau sur millénium, film quand même assez féministe, dans lequel il passe par un tas de circonvolutions pour éviter d'employer le mot "féministe"). Comme pour s'excuser d'aimer la vision de rapports de domination filmée sans oeil critique.
RépondreSupprimerA ko : oui j'ai déjà remarqué également. Ca leur arrache la gueule "féministe" parce que ce serait reconnaître le sexisme. Pas de sexisme pas de féminisme.
RépondreSupprimerEt pour masquer le sexisme, là, oui, on l'affuble du vocable "féministe". C'est du violet washing. Comme le nucléaire propre, la prostitution féministe est un oymore.
A Emelire : oui on voit bien par là qu'il y a une réelle volonté de propagande.
RépondreSupprimerEn tout cas, on a envie de casser quelque chose quand on voit ca.
D'ailleurs aujourd'hui j'ai vu un bus qui faisait de la pub pour un bordel privé (on est en Allemagne). Ce bus est celui d'une ligne régulière de transport en commun public urbain....les boules.