Encore un effort, Monsieur Joffrin !
Le Nouvel Observateur
de cette semaine a renoncé à faire appel de sa condamnation pour
atteinte à la vie privée de DSK. Président du directoire de
l’hebdomadaire, Laurent Joffrin revient, avec un certain courage, sur
les raisons pour lesquelles il a pris avec Jérôme Garcin et quelques
autres - Michel Labro et Renaud Dély, notamment - la décision de publier les belles feuilles de Belle et Bête, de lui consacrer un entretien, des articles on ne peut plus élogieux, et d’en faire sa une.
«
'Jean-Marc Roberts, le patron des éditions Stock, m'a envoyé les
épreuves du livre fin janvier, raconte Jérôme Garcin, directeur délégué
en charge de la culture au Nouvel Observateur. Je les ai fait
lire en parallèle à mon collègue Eric Aeschimann du service livres, qui,
contrairement à moi, connaît bien Marcela Iacub. Nous avons trouvé le
livre très bon. C'est en rappelant l'éditeur que j'ai appris que
l'ouvrage n'était pas inscrit au catalogue de Stock'. » Tout comme la parution de l’ouvrage, la décision de consacrer dossier et une à Belle et Bête a été tenue secrète, relate Richard Sénéjoux (Télérama.fr, 26 et 27 février 2013)
Parmi les raisons alléguées ici par le directeur du Nouvel Observateur,
il y a celle de l’intérêt que porte son lectorat à la « part de
domination sociale » présente dans la « sexualité débridée » de DSK.
« Les puissants jouissent de la puissance » et l’Obs aurait voulu
traiter de la question de savoir s’ils sont «fondés à jouir aussi de la
soumission si longtemps imposée aux femmes par la tradition, et dont
elles cherchent à s’émanciper »
L'affaire DSK, en tant que telle, serait « éminemment politique ». Mais non pas tant, selon Laurent Joffrin, parce que « le
droit des femmes – il n’y en aurait donc qu’un, comme le jour de La
Femme ? - constitue en tant que tel une question politique, la
démocratie supposant l’entière reconnaissance, la pleine effectivité,
loin d’être atteinte en France, des droits des femmes.
Revus et corrigés par le directeur du Nouvel Observateur
en état de choc iacubien, les épisodes de l'affaire DSK ne
soulèveraient pas les questions de l’impunité des violences sexuelles,
du sexisme et du proxénétisme, dont les perpétrateurs (de perpetrator) sont très majoritairement des hommes. Ils conduiraient plutôt à se demander : « Un homme qui use ainsi de sa position pour séduire est-il légitime dans l’exercice du pouvoir ? Son
habitude de conquête sexuelle expéditive est-elle une liberté à
protéger, une simple affaire de vie privée ou, au contraire, un abus de
position sexuelle dominante qui augure mal de son action à la tête de
l’Etat ? »
Le séducteur à la française est mort,
vive le séducteur expéditif !
Sur
quels présupposés, sur quelle suspension des facultés critiques, repose
donc cette réduction interrogative ? et n’a-t-elle pas de quoi
désespérer à peu près toutes celles qui se souviennent des événements
précédents – pour les autres, lire ou relire de toute urgence Un troussage de domestiques, La fabrique du féminisme et le long entretien que nous avons fait en 2011 avec la sociologue Natacha Chetcuti (deuxième, troisième et et quatrième) ?
Car
la seule question pertinente, selon Laurent Joffrin, serait celle de
savoir si un séducteur qui conquiert sexuellement le corps des femmes
sans qu’elles résistent à l’assaut expéditif – si elles résistent, ce
n’est plus un séducteur, il faudra bien finir par convenir que c’est un
violeur - serait un bon gouvernant… Car le corps de la Nation n’est pas
seulement composé de femmes toujours déjà désirantes du phallus, mais
d’hommes aussi…
Je suis de mauvaise foi féministe ? J’ai un couperet à la place d’une plume ? J’ai mal lu, en féministe expéditive ? Vraiment ?
Qu’est-ce donc qui autorise – ou qui contraint – Laurent Joffrin à réaffirmer que DSK est un séducteur ?
Le Nouvel Observateur ne fera pas appel. Soit. Personnellement je le regrette fort, car je pense comme l'a souligné Elaine Sciolino dans Le secret des sources (France
culture, 2 mars), qu'il est "hallucinant" – et inacceptable – que DSK
soit à nouveau transformé en victime qui mériterait la sympathie. Elaine
Sciolino a dirigé le bureau parisien du New York Times à Paris et qu'elle est l'auteure d'un ouvrage sur la séduction en France : elle sait donc de quoi elle parle. Laurent Joffrin devrait lire son livre.
Le secret des sources, Affaire Iacub/DSK : la presse a-t-elle dépassé les bornes ? 2 mars 2013 France culture
Mais si Le Nouvel Observateur
ne fait pas appel, et si certains regrettent que DSK et Anne Sinclair
n’aient pas pu s’exprimer dans le numéro qui consacrait la fable du
cochon-caniche et de la méchante reine – la vraie responsable, selon
Iacub, des « maltraitances » dont le cochon-caniche s’est rendu coupable
- , la simple considération des faits aurait dû conduire à une version
moins complaisante que celle favorisant le retour du séducteur.
La somme que DSK a versée à Nafissatou Diallo atteste-t-elle en effet qu'il soit simplement un « séducteur » expéditif ?
Qu’est-ce
qui permet d’oublier que l’agression sexuelle commise sur la personne
de Tristane Banon a été reconnue par le parquet de Paris. Même si elle
était prescrite.
Pourquoi Le Nouvel Observateur
ne rappelle-t-il pas que selon David Koubbi, l’avocat de la jeune femme
auquel Claude Perdriel avait songé pour faire appel de la condamnation
pour atteinte à la vie privée, cette décision de justice fonde la
possibilité d’affirmer que DSK est un « agresseur sexuel non jugé » ?
En
octobre 2011, sur le site Internet de l’hebdomadaire, ont été publiées
des déclarations faites par une «source judiciaire» qui confirmait que
DSK s’était rendu coupable au moins une fois d’ une atteinte à la vie
intime : « ‘M. Strauss-Kahn a admis avoir tenté d'embrasser Mme Banon,
ce qui peut relever pour la justice du délit d'agression sexuelle’ (…). ‘Il ne reconnaît pas avoir agressé sexuellement Mme Banon, mais c'est son opinion’, a-t-on précisé. ‘Le magistrat estime de son côté que ce qu'il admet peut être qualifiable d'agression sexuelle, un délit prescrit trois ans après les faits’ ».
"Nous
continuerons à nous battre pour toutes les causes qui ont été notre
raison d’exister : l’égalité, la lutte contre le racisme et les
injustices, le droit des femmes, s'engagent Laurent Joffrin et Claude Perdriel.
Dans
un monde devenu plus dur, nous resterons un média libre, qui se tiendra
toujours aux côtés de tous les opprimés contre tous les pouvoirs."
L'on espère donc que la prochaine fois que Le Nouvel Observateur publiera
un entretien avec une antiféministe notoire, l'hebdomadaire aura eu la
probité de lui adresser des questions rédigées par Clémentine Autain et
que Sophie des Déserts en commentera les réponses.
Dans
le dossier publié cette semaine par L'Obs (n° 2522), "DSK, Iacub et
nous", le seul article qui témoigne d'un authentique souci féministe,
c'est en effet celui de Sophie des Déserts. Pas plus que nous, elle ne
croit que Iacub ait été manipulée par des ennemis de DSK et contrainte à
publier Belle et Bête contre son gré.
«
A un moment donné, on s'est posé la question, explique son éditeur :
peut-être qu'il ne faut pas le faire ce livre ? Elle (Marcela Iacub,
ndlr) ne voulait plus le faire non plus. Et puis tout à coup, la version
quatre, je crois, est arrivée, un texte qui ne ressemblait pas aux
autres ; et c'est là-dessus que l'on a encore travaillé, qu'elle a
travaillé » (RTL 7 mars 2013, repris par Le Nouvel Observateur).
Le mail que l'essayiste a envoyé à DSK en novembre aura servi à vaguement tenter de
détourner d'elle une partie de la foudre - du foutre à la foudre... -
de DSK tout en contredisant ce qu'elle laisse croire dans son "roman",
et qui est peut-être, au moins en partie, vrai : "C'est l'extase,
jusqu'à ce que le cochon se lasse. Il aurait suffi de 3 mois (et non 7,
comme elle l'écrira). L'intellectuelle maîtrisant son sujet aurait dû
l'anticiper. mais la femme souffre. (...) Le mail lu à l'audience
n'était que le coup de sang d'une intellectelle de 48 ans qui, au moment
où elle met un point final à son ouvrage, tente de se dédouaner,
peut-être parce qu'elle se sent mal. L'immorale a-t-elle des états d'âme
? Elle s'en veut surtout d'avoir été amoureuse, puis jetée. Ramenée à
la condition d'une midinette ordinaire." (Sophie des Déserts, NO, 7
mars, p. 90).
Alors qu'elle a tenu à faire savoir qu'elle, du moins, elle n'était pas une femme, et que de chronique
en chronique, elle a refusé toute identification avec les victimes de
l'outrecuidance, des maltraitances et des violences commises par des
hommes.
Or, Olivier Abel en fait l'hypothèse - comme Fabienne Pascaud et Olivier Pascal-Moussellard dans leur critique ambivalente
d'un texte lui-même explicitement duplice - Marcela Iacub "semble avoir
touché, comme dans un cauchemar, les limites de sa propre philosophie
de la liberté sexuelle" (NO, 2522, 7 mars, p. 95).
Je
partage cet avis. Si la manipulatrice n'a pas été manipulée par des
comploteurs anti-DSK, elle semble avoir été "abusée" par l'homme-cochon,
et avoir trouvé un moyen de se venger sans faire appel aux tribunaux : Belle et Bête a "cartonné" titre Elle.
Il serait déjà réédité. Et le moins que l'on puisse dire c'est que
l'homme-cochon-caniche est assez complètement ridiculisé et discrédité.
On
sait combien la juriste libérale - plutôt que libertaire - s'oppose à
toute législation qui limite la liberté sexuelle, comme le font les lois
contre le harcèlement, les agressions sexuelles et le viol. Un
"prédateur" - pour reprendre la formulation d'Elaine Sciolino, pouvait
être assuré de l'impunité...Mais il avait omis le risque de
l'autofiction vengeresse.
L'Obs,
s'il veut pouvoir prétendre au titre de défenseur des droits des
femmes, devrait demander à Marcela Iacub d'écrire des chroniques qui
déconstruisent les thèses masculinistes dont elle s'est fait jusqu'à
présent le relais. Elle y pourrait aussi exposer la théorie de la
vengeance exposée et explosive de la mi-sainte mi-truie.
Sophie des Déserts a déjà trouvé le titre du recueil où ces chroniques
seront rassemblées : "Marcela ou les infortunes de la liberté".
S. Duverger
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