L'article s'appelle : Voile intégral : par où en sortir ? (J'ai rehaussé certains passages avec des caractères gras).
"On aimerait qu’aucune femme n’ait jamais l’idée saugrenue de se cacher pour plaire à Dieu.
On aimerait qu’aucun homme n’ait jamais envie de couvrir sa femme, comme une voiture ou un canapé, pour se l’approprier.
On aimerait que ce débat, difficile et compliqué, se déroule dans une époque enchantée, où il n’y aurait ni polémique opportuniste sur l’identité nationale ni vote suisse contre les minarets.
On aimerait vivre dans un monde où il n’existerait ni intégrisme pour nourrir le racisme ni racisme pour nourrir l’intégrisme.
On aimerait… Mais s’il suffisait de claquer des doigts pour vivre dans un monde idéal, cela se saurait.
Le débat sur le voile intégral est là, il faut bien le mener. Il est là parce que des parlementaires s’en sont emparés, ce qui n’est pas absurde en démocratie, mais surtout parce que le voile intégral choque.
Ce qui est plutôt rassurant pour un pays attaché à l’égalité.
Il faut une sacrée dose de différentialisme, le frère jumeau du racisme, pour ne ressentir aucun frisson en voyant des ombres de femmes hanter certains quartiers comme si nous étions en Arabie saoudite.
Espérons que l’on ne s’y habitue jamais. Peut-on, pour autant, tout régler par l’interdit ? C’est là que le débat devient plus complexe.
Il est possible d’interdire un signe religieux inégalitaire à l’école publique, au nom de sa vocation émancipatrice. Ainsi que dans les services publics et les lieux représentant la République, à cause de cette symbolique. Mais dans la rue ? Ici, le choix d’un individu – fût-il aliénant – prime. Tant qu’il ne nuit pas à la sécurité ou à l’"ordre public".
Une loi symbolique contre le voile intégral aurait l’inconvénient d’être particulariste et prendrait le risque d’être inapplicable.
Pourquoi interdire le voile intégral mais pas le port du masque en période de grippe A ? A cause de la dignité des femmes ? Mais alors, pourquoi ne pas interdire le voile simple ? Ne porte-t-il pas atteinte à la dignité des femmes ?
Et si on interdisait le voile simple dans la rue, pourquoi ne pas interdire tout signe politique tendancieux ? Evitons ce cercle infernal, et cherchons l’efficacité.
Dans cette affaire, il faut dissocier deux choses : les raisons pour lesquelles on souhaite combattre le voile intégral (la dignité des femmes) et celles que l’on peut invoquer pour restreindre cet uniforme sectaire (la sécurité).
C’est ce que permettrait la combinaison intelligente d’une résolution solennelle avec une série de règlements plus généraux, concernant le devoir de s’identifier.
La résolution pour le symbole : la représentation nationale exprimerait ainsi son rejet de tout signe portant atteinte à la dignité des femmes. Cette résolution n’aura de force que si elle fait l’unanimité et transcende les clivages partisans.
La gauche s’honorerait à y participer. Quant à la mise en pratique, des mesures doivent permettre aux commerces et aux lieux publics d’afficher des règlements obligeant toute personne entrant dans ces lieux à s’identifier, pour des raisons de sécurité.
En 2006, un homme s’est baladé dans le métro londonien, placé sous vidéosurveillance, couvert d’une cagoule noire. Il a été arrêté.
Pourquoi une femme aurait-elle le droit de porter une cagoule masquant son visage ? Parce qu’elle est persuadée que Dieu lui demande ? Dieu n’a pas à être un passe-droit… Il y a quelques semaines à Marseille, un bijoutier croit ouvrir à un couple, dont une silhouette portant un voile intégral. C’était en fait deux braqueurs. Il a été cambriolé.
Dans de nombreux cas de figure – que ce soit pour aller chercher son enfant, un colis à la poste, prendre le bus, entrer dans un magasin ou dans une zone placée sous vidéosurveillance -, une femme en voile intégral doit accepter de s’identifier sous peine d’être verbalisée.
En dehors de ces situations, libre à elle de porter un voile pour se protéger de la colère d’un dieu misogyne, ou de la grippe A. Libre aux autres de continuer à dire ce qu’ils en pensent.
Caroline Fourest
Et voici un ancien texte de Sisyphe sur la position négationniste de Christine Delphy sur le sens du port du voile.
jeudi 4 octobre 2007 Une comparaison réductrice de Christine Delphy
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Je sais que j’en heurterai plusieurs en me permettant de critiquer
une icône du féminisme, une chercheuse et une femme que j’ai admirée par
ailleurs sous d’autres aspects, mais je ne puis passer sous silence
certains propos que j’estime réducteurs. Dans une entrevue qu’elle a accordée au Devoir, le 1er octobre 2007, la chercheuse féministe française, Christine Delphy, a déclaré au sujet des consultations sur les "accommodements raisonnables" au Québec : « Je suis contente. Je voudrais que l’on se pose aussi la question du port du talon haut. Le nombre de chevilles tordues, si vous saviez... 80 % des patientes des podologues sont des femmes », dit-elle avec la plus grande ironie avant de poursuivre : « On peut s’inquiéter du fait que les sikhs portent de petits poignards, mais personne ne s’alarme de savoir que les adolescents transportent des armes à feu et tirent sur d’autres dans les écoles ! » Je trouve cette réflexion un peu simpliste. Le symbole véhiculé par le port du voile, souvent imposé par des hommes à des femmes - et qui n’a pas son équivalent pour les hommes dans les cultures qui l’imposent (ce qui est en soi significatif) - ne se compare pas au symbole du port de souliers à talons hauts, que nous sommes libres de ne pas porter sans être menacées de représailles. Et une cheville tordue n’équivaut pas aux coups, blessures et menaces de mort que certaines subissent parce qu’elles ne portent pas le foulard ou le voile tel qu’il est prescrit. Cette sorte d’ironie a pour effet d’éluder et de ridiculiser une réflexion sérieuse sur le sens du voile, souvent imposé à des enfants dans certains pays. Presque tous les jours, nous recevons des messages au sujet de femmes de différents pays (y compris la France) qui sont menacées de représailles si elles refusent de porter le voile. Pourquoi est-il si dangereux pour certaines de refuser de porter ce voile si le port du voile relève simplement de "la liberté de conscience" ? La "conscience" des femmes iraniennes, par exemple, qui défient le gouvernement en ne portant pas un voile ou foulard "réglementaire", et qui sont emprisonnées, qu’est-ce qu’on en fait ? Ce genre d’argument se compare au discours des défenderesses de la légalisation de la prostitution qui invoquent le "libre choix" de se prostituer, alors qu’on connaît les conditions qui conduisent à la prostitution à un âge aussi jeune que 12 ou 13 ans - des conditions qui sèment le doute sur l’existence de ce fameux "choix". Quant aux armes à feu à l’école, il est absolument faux que personne ne s’en préoccupe au Québec et au Canada. Madame Delphy est mal renseignée. Sur la question de l’Afghanistan, je crois que Christine Delphy a raison de dire que "le combat pour libérer les femmes afghanes a été instrumentalisé" (un mot - instrumentalisé - qu’elle semble particulièrement affectionner, ainsi que ses disciples québécois). Mais que penser de ce passage : « Il vaut mieux porter une burqa et être en sécurité et pouvoir manger. Il faut savoir établir les priorités, et ce sont ces femmes-là qui doivent le faire » ? Avec une burqa, les femmes mangeaient-elles plus et étaient-elles davantage en sécurité sous les Taliban ? D’ailleurs, elles la portent encore dans plusieurs régions de l’Afghanistan, et pas toujours par choix. Ce n’est pas parce que les Américains et autres Occidentaux ont eu tort de faire la guerre en Afghanistan (et en Irak et ailleurs) pour s’approvisionner en pétrole que les Taliban ont (eu) raison de vouloir enfermer les femmes dans un vêtement qui limite leur déplacement et symbolise le contrôle des hommes sur leur corps et sur leur droit à l’existence même. Et les mariages forcés ? Et l’exclusion des filles de l’école ? Et la lapidation ? Et l’absence de liberté sexuelle ? Ce ne sont pas les Américains qui les ont inventés. L’association RAWA, composée de femmes afghanes, a bien documenté la situation de ces femmes sous les Taliban. « Pour elle, c’est détourner l’attention de ce dont il faudrait réellement se préoccuper : le bien-être des femmes », écrit la journaliste du Devoir. Le bien-être des femmes ne commence-t-il pas par le droit de circuler librement, sans être escortée obligatoirement par des hommes pour le moindre déplacement, en s’identifiant comme personne, comme femme, non comme fantôme ambulant, sans être violée ou lapidée en guise de représailles si on déroge au code vestimentaire imposé pour cacher ce corps qui dérange tant ? Texte de l’entrevue de Christine Delphy au Devoir : « Un féminisme devenu sage », Le Devoir, 1er octobre 2007. Et voici comment La Tribune de Genève commente cette entrevue. Mis en ligne sur Sisyphe, le 2 octobre 2007 |
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