Par Renaud Revel, publié le 21/11/2011 à 17:57, mis à jour le 22/11/2011 à 11:55
Tristane Banon, ici sur le plateau du Grand Journal, le 19 septembre dernier.
afp.com/Joel Saget
Son marathon médiatique est terminé. Quel regard Tristane Banon porte-t-elle sur le traitement de sa plainte contre DSK par la presse française? Pour LEXPRESS.fr, elle se confie.
"Ce fut un marathon terriblement instructif..." dit-elle, attablée dans un petit restaurant italien, situé non loin de son domicile, à Boulogne Billancourt. Des semaines durant, depuis le retour de DSK en France et sa plainte déposée contre l'ancien patron du FMI, on a vu Tristane Banon, le verbe haut et le regard vrillant, arpenter les plateaux télés et occuper le devant de la scène. Télés, radios et salles de rédactions auront vu cette frêle silhouette occuper comme rarement l'espace médiatique sans laisser un interstice de libre, tant l'intéressée a su dérouler un réquisitoire matelassé, dense et comme monté sur chenilles. Quel regard porte-t-elle sur ces mois passés à tenter de convaincre et sur le traitement que les médias français et étrangers ont réservé à son affaire? Quelle image a-t-elle des journalistes qui l'ont interrogée et quel bilan tire-t-elle de sa longue quête médiatique? Tristane Banon a répondu à nos questions.
Quelle est d'abord votre impression générale, après ces mois passés sous les projecteurs?
On oublie d'abord que l'affaire Strauss-Kahn, puisque c'est aussi celà dont il s'agit à travers mon histoire, est une affaire qui a intéressé les médias du monde entier. Et que le traitement qui lui a été réservé à l'étranger n'a rien à voir avec celui choisi par les médias français. Il est hallucinant de constater à quel point les médias de ce pays ont protégé, épargné, durant des mois, un homme que la presse étrangère, notamment anglo-saxonne, a parfaitement jugé au regard de ce que l'on savait depuis longtemps et que la justice et la police américaines avançaient.
Les journalistes français, politiques le plus souvent, prisonniers de leurs liens de connivence avec celui qui avait toutes les chances de devenir le prochain président de la République, ont appliqué à cette affaire un traitement indigne de leur carte de presse. Je n'ai jamais compris l'attitude du Monde, je ne m'explique toujours pas le comportement de Libération ou du Nouvel Observateur, si ce n'est que ces journaux de gauche ne voulaient ni brûler une icône, ni injurier l'avenir. Comme si les faits incriminés n'avaient aucun poids, aucune valeur et que seule l'envergure politique de celui que la justice américaine poursuivait alors importait à leurs yeux. La presse de gauche a voulu protéger DSK.
Quant au positionnement du Point, qui a publié des articles très durs me concernant, il faut l'apprécier à l'aune de sa relation à L'Express, journal avec lequel il est en concurrence frontale. On pourrait multiplier les sources d'étonnement à l'infini. Ainsi, je me suis aussi interrogée durant ces semaines sur les silences troublants de l'UMP, qui a laissé un boulevard à Marine Le Pen. Pourquoi cet embarras dans les rangs du parti de Nicolas Sarkozy? Mystère.
On a pourtant le sentiment que le regard de la presse a évolué au fil des semaines. Regardée comme un être excentrique, une bête curieuse, vous devenez quelqu'un d'audible, de crédible, quand la télévision s'empare de vous et de votre affaire?
Je crois que mes passages sur TF1 et Canal+ n'ont aucun rapport avec cette évolution. Il se trouve seulement que des gens avaient fini par enquêter au sein des rédactions, y compris télés, et qu'une vérité commençait à apparaitre: je n'étais plus cette douce illuminée, cette menteuse que certains dépeignaient par le passé, mais quelqu'un qui avait subi un jour une agression et que ce crime méritait peut-être réparation.
DSK aurait pu être extrêmement bon sur TF1 mais il a été extraordinairement mauvais
Mais là où TF1 et Canal+ ont joué un rôle, c'est au regard de l'opinion: celle-ci a basculé après ces différentes interventions. Si bien que du jour au lendemain, les médias ont à leur tour évolué: convaincante, à leurs yeux, face à Denisot ou à Ferrari, je devenais soudainement crédible et donc fréquentable. Le fait que ces deux grands médias m'aient ouvert leurs portes a légitimé la démarche de ceux qui dans la presse n'osaient m'approcher jusqu'ici. Banon avait soudainement du fond. C'est triste, mais c'est ainsi: après mon passage sur TF1, les SMS tombaient comme à Gravelotte sur mon portable. Ceux dont je n'avais plus de nouvelles depuis des mois dans les médias se sont brutalement réveillés: Banon devenait l'urgence.
Et tout cela tient à quoi? A quelques minutes d'un passage télé! DSK aurait pu être très bon sur TF1 et il a été extraordinairement mauvais. J'aurais pu me vautrer sur cette même chaîne et j'ai été bonne. Imaginez l'inverse dans les deux cas? Est-ce que nous raconterions aujourd'hui la même histoire? A quoi cela tient... Le lendemain, je croisais des gens dans la rue qui me disaient, "Je sais maintenant que vous dites la vérité". J'avais envie de pleurer, de hurler. Car j'ai mesuré à quel point mon histoire ne tenait qu'à un fil, à la qualité d'une prestation télé et son écho médiatique. La télévision est une caisse de résonnance qui vous sublime ou vous massacre. Un trompe-l'oeil aussi. Personne ne s'est posé la question de savoir si j'avais menti ce fameux soir sur TF1, avec tout le talent du monde ou les ressorts d'une comédienne sortie du cours Florent.
Du poids de l'image...
Et de l'extraordinaire superficialité des médias français. J'ai pu mesurer à quel point la presse internationale - du New York Times au Times, en passant par le Herald Tribune, dont j'ai rencontré les journalistes, et jusqu'à la plupart des grands quotidiens européens que j'ai dévorés - n'avaient que faire de mon passage sur une chaîne. Une seule chose importait à leurs yeux: les faits, rien que les faits. Que s'est-il passé avec DSK? Il y a que les journalistes français se sont imaginés que je pouvais mentir. C'est moins les faits incriminés et la procédure alors en cours qui les intéressaient, que ma vie privée, que l'on fouillait avec obstination. La vie privée de DSK devait être protégée, mais la mienne était consciencieusement labourée. Il m'aurait fallu être une grande malade ou une belle névrosée de la télé-réalité pour aller arpenter les plateaux de télé, le mensonge à la bouche! Banon menteuse, affabulatrice! Cet aspect-là des choses, suggéré à demi-mots par certains, n'a jamais été abordé, même effleuré, par les médias étrangers.
Une différence d'approche, jusque dans le questionnement?
Ce n'est pas comparable. La seule question que se posaient les journalistes étrangers était de savoir pourquoi il avait fallu attendre si longtemps, huit ans et demi, pour que cette affaire éclose et qu'un homme d'une telle stature ait pu échapper à des poursuites? Les questions étaient simples: pourquoi la presse française, qui connaissait DSK, a-t-elle fait preuve d'autant d'indulgence coupable? Pourquoi les journalistes français ont-ils si longtemps épargné celui sur lequel couraient tant de rumeurs insistantes? Pourquoi ne m'avait-on jamais écoutée?
En France, les interrogations des journalistes étaient tout autres. J'entendais: "Pourquoi a-t-elle temporisé? Est-elle équilibrée? Dit-elle la vérité? Participe-t-elle à une campagne de dénigrement, de déstabilisation de DSK? Pour qui roule Banon? Est-elle instrumentalisée par sa mère? Les journalistes allemands que j'ai rencontrés étaient sur le cul quand ils lisaient tout cela! Le concept de vie privée rattachée à cette affaire en a laissé pantois plus d'un. Et la manière avec laquelle leurs confrères français abordaient cette affaire les a abasourdis.
Comment se sont déroulées vos discussions avec Laurence Ferrari?
De manière très simple. Elle m'avait contactée dès le début de l'affaire. Mais je sentais que cela ne serait pas simple, compte tenu du poids de DSK et des intérêts en jeu, notamment politiques, avec le groupe Bouygues en toile de fond. Puis passe DSK au 20 heures de TF1. Vingt-quatre minutes de monologue, un traitement digne d'un chef d'Etat et pas ou peu de répondant en face! Du jamais vu! Je ne l'ai regardé que le lendemain sur Internet, car je n'ai plus la télé, et je suis tombée de l'armoire devant tant de mensonges et d'approximations. Je l'ai trouvé vraiment très mauvais. Il lui manquait le seul conseiller en communication qui prévaut en 2011 et qui est Facebook: il aurait fallu qu'il écoute non pas les pseudos "pro" de la com' qui l'entourent, mais ceux là même qui le jugent et l'observent sur les réseaux sociaux. Pour ma part, j'y suis très attentive.
Le show pathétique de DSK terminé sur TF1, mon avocat m'a dit: "Tu veux un droit de réponse?" Je lui ai répondu, "Je veux TF1, j'y vais ce soir, on ne prépare rien et ils vont voir!" On téléphone alors à Laurence Ferrari, qui nous dit "OK, mais pas de direct, il y a trop de risques de débordements..." Débordements! Mon sang n'a fait qu'un tour: "Comment, des risques de débordements! Banon trois minutes sur un plateau et c'est le plan ORSEC, mais DSK durant 24 minutes de contre-vérités, en direct, il n'y a aucun risque de dérapages et de débordements?" J'étais folle de rage! C'était donc trois minutes chrono, enregistré dans un salon de TF1: emballé c'est pesé! J'ai dit non. Et c'est comme cela que je me suis retrouvée sur le plateau de Michel Denisot, le soir même.
En vérité, j'aurais voulu aller sur le plateau de David Pujadas. Mais France 2 s'était mal comportée avec moi
Est-ce que ma prestation sur Canal+ a rassuré TF1 quant à mon état psychique - ce qui serait proprement sidérant - et à ma capacité à répondre à leurs questions? Toujours est-il que la veille de ma confrontation avec DSK, j'ai reçu un message de Ferrari m'annonçant qu'elle s'était battue et avait fini par emporter le morceau, malgré les hésitations de la chaîne, pour un direct au 20 heures de TF1. Volte-face. J'y suis allée dans le plus grand secret. Même mon avocat n'était pas au courant. Car je ne voulais pas que ce passage programmé au 20 heures de cette chaîne pèse en quoi que ce soit sur la difficile confrontation qui m'attendait avec l'autre.
Ferrari m'a rappelée peu avant pour me proposer de préparer l'entretien. Et je lui ai dit que ce n'était pas nécessaire, que je ne voulais pas connaitre ses questions et que mon histoire, je la connaissais suffisamment pour en parler sans briefing préalable. Elle est venue me voir peu avant le journal, en salle de maquillage et elle m'a dit "Ca va?" Je lui ai dis "Non!" en lui expliquant que je n'aurais pas du être là ce soir-là, face à elle, à raconter une histoire qui n'aurait jamais dû exister quand on est une femme.
Une parenthèse sur cette fameuse audition avec DSK...
Je me souviens d'un bloc de granit qui ne m'a pas adressé un regard de toute la séance. Il y avait entre DSK et moi un brigadier qui m'avait prise en sympathie. Or, quand ce dernier a vu que je cherchais ostensiblement le regard de DSK, qui me fuyait, il s'est imperceptiblement reculé sur sa chaise de quelques centimètres. Et j'ai pu enfin voir DSK qui n'a jamais voulu croiser mon regard. "Faites venir ma voiture devant la porte", a-t-il dit aux policiers avant de quitter la pièce. J'ai vu l'expression médusée des hommes en uniforme...
Y a t-il eu des pressions directes de l'entourage de DSK durant cette période?
Sur moi, non, mais sur mon avocat, David Koubi, un certain nombre. Certains lui ont dit qu'il mettait sa carrière en danger et qu'il avait tort de persister dans cette voie. Je suis convaincue d'avoir été mise sur écoute. Des policiers m'ont dit que cela ne faisait aucun doute. Parmi les choses qui continuent de me surprendre, il y a le fait que le conseiller en communication de DSK et d'Arnaud Lagardère, Ramzy Khiroun, personnage clé du système, n'ait jamais été auditionné. C'est pourtant cet homme qui avait obtenu de ma maison d'édition la suppression dans mon livre du passage concernant DSK et mon affaire. Etrange, non?
Cette affaire n'aurait sans doute jamais vu le jour sans votre passage un soir dans l'émission de Thierry Ardisson...
Que je regrette aujourd'hui... Dans sa forme. Reste que sans ces quelques images et cet échange avec Ardisson, mon histoire n'aurait peut-être jamais existé. Curieux bonhomme... Non seulement, il ne m'a jamais reparlé de cet épisode, mais il ne s'est jamais inquiété, depuis cette date, de mon état. Pas un signe, pas un coup de fil. Il est à l'image de la presse, qui se contrefiche des dégâts qu'elle peut parfois causer et qui va au plus simple.
Je me souviens avoir donné à des journalistes, à l'époque, l'adresse de la garçonnière où DSK m'avait emmenée et où il avait l'habitude d'emmener ses conquêtes. Aucun d'entre eux n'est allé voir. Alors qu'aujourd'hui, tous ont fait le siège du Carlton de Lille. Allez comprendre...
Il est à souhaiter que cet épisode fasse réfléchir et modifie les pratiques journalistiques d'un bon nombre dans ce pays. Comment se fait-il que la quasi-totalité des médias étrangers ont titré, lors de la dernière audience, décisive, à New York, sur les faits reprochés à DSK, quand les médias français décidaient de faire leurs manchettes sur le classement sans suites de son affaire? Une seul et même affaire et deux traitements journalistiques distincts. Jusqu'au bout, la presse française n'aura cessé de jouer de son ambigüité, se refusant même à admettre la gravité des accusations contenues dans les conclusions de la justice américaine. Au lieu de cela, on a vu toujours le même Michel Taubmann , hagiographe et avocat quasi déclaré de DSK, que je n'ai jamais rencontré, qui ne m'a jamais entendue, venir commenter sur les plateaux cette décision de justice, alors que j'avais au téléphone des journalistes scandalisés par son omniprésence médiatique. Cela fait partie des innombrables paradoxes de cette affaire. Je me souviens d'un coup de fil d'une journaliste du Herald Tribune qui souhaitait écrire sur mon histoire. Je lui ai dit que je ne voulais plus parler. Et à ma grande surprise, elle m'a expliqué qu'elle prenait un gros risque professionnel, vis à vis de sa direction, si nous n'avions pas un contact direct. Quel journaliste français aurait cette rigueur?
Pourquoi tant de médiatisation?
Je n'ai jamais recherché les médias pour les médias et ne suis pas obsédée par mon image. Alors pourquoi tant d'interviews et d'apparitions médiatiques? Parce que cela m'évite de m'appesantir sur tout ce que j'ai perdu dans la bataille et parce qu'il fallait que je purge cette histoire. Je me souviens qu'à la sortie de l'émission matinale de Canal+, Maïtena Biraben, son animatrice, m'a demandé ce que j'allais faire maintenant. J'ai fondu en larmes. Le jour même, j'ai passé mon après-midi à faire la liste de tout ce que j'avais perdu depuis l'été: mes potes - un grand nombre - une bonne partie de ma santé, de ma joie de vivre, mon travail aussi et ma capacité à me projeter... Et pourtant, je n'ai aucun, je dis bien aucun, regret. Et j'ai le sentiment qu'il y aura désormais, concernant ce type d'affaires, en France, sur le plan de leur approche et de leur traitement médiatique, un avant et un après DSK. Espérons-le.
Et un avant et un après Banon?
Un avant et un après Banon. J'espère que je ne suis pas un simple fait divers au sens étymologique du terme et que mon histoire a pu faire évoluer les consciences. C'est en tous les cas mon souhait le plus profond. Et je l'espère, pas un voeu pieux.
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