19/06/2013
Iacub et le cochon : innocence, naïveté ou perversité ?
Deuxième partie d'un entretien avec Riccardo Antoniucci sur Belle et Bête
(Stock, 2013) de Marcela Iacub, qui après avoir été condamnée pour
atteinte à la vie privée vient de recevoir le prix de la Coupole. Une
version un peu antérieure de cet entretien sera bientôt publiée sur Francesismi (Il Rasoio di Occam, rubrique philosophique de MicroMega).
La première partie de notre entretien est disponible ici.
Riccardo
Antoniucci : Que pensez-vous de la condamnation de Marcela Iacub et de
son éditeur à dédommager DSK ? Cette mesure de protection de la vie
privée de DSK n’intervient-elle pas bien tardivement et après de
nombreuses chroniques graveleuses sur l’homme dont la sexualité est
désormais mondialement connue ?
Sylvia Duverger :
Jean-Marc Roberts, son éditeur et Marcela Iacub savaient qu’ils
s’exposaient à une condamnation. Le pire aurait été l’interdiction de
l’ouvrage. Il s’est bien vendu, très bien même. Jean-Marc Roberts, qui est mort le 25 mars des suites d’un cancer, avait à plusieurs reprises déclaré qu’il ne regrettait rien : « C’est très bien même, et très drôle, tout ce bruit », a-t-il confié à propos de ce « roman fantastique » dans un entretien avec Sylvain Bourmeau publié dans Libération le 8 mars 2013.
Marcela
Iacub, quant à elle, a été largement désapprouvée par les
intellectuelLes, par ses amiEs, ce qui l’a conduite à se transformer en
psychanalyste de pacotille : ceux et celles qui critiquent Belle et bête,
c’est, répète-t-elle à l’envi, qu’ils/elles dénient « l’excitation
sexuelle » éprouvée à sa lecture. On lui en voudrait d’être descendue de
son piédestal d’intellectuelle paradoxale, et d’avoir fait de sa
passion amoureuse quelque chose de «créatif» et d’ «historique »,
ajoute-t-elle, en post-midinette mi-parano mi-narcissique éhontée (c’est
un pléonasme). « L'ego est décidément un fléau », conclut l’écrivaine et journaliste Peggy Sastre,
non sans présager que les enflures narcissiques de Marcela Iacub ne
masqueront sans doute plus très longtemps le vide de ses propos. J’avais
moi aussi le sentiment qu’elle avait achevé de se discréditer. Mais
l’obtention du prix de La Coupole, qui lui a été remis le 12 juin, donne
à penser que notre époque se laisse décidément aisément fasciner par
ce vide qui se pare d’atours sophistiques [1].
Ce
qui pose problème dans le verdict qui a entériné l’atteinte à la vie
privée – DSK a obtenu 75 000 euros, ce qui est une somme conséquente -,
c’est qu’il a donné le sentiment que cet homme pouvait encore
légitimement invoquer la morale, le respect de la vie privée… alors
qu’il a été reconnu coupable d’une agression sexuelle sur la personne de
l’écrivaine Tristane Banon, et qu’il a vraisemblablement violé
Nafissatou Diallo, étant donné l’importance de la somme qu’il lui a
versée. Il paraît difficile de ne pas être d’accord avec Christine
Delphy, qui a suivi de près l’affaire DSK, et a d’ailleurs édité Un troussage de domestique (Syllepse, août 2011), un recueil d’articles féministes parus sur le sujet : la passation d’un accord financier avec Nafissatou Diallo constitue un aveu de culpabilité.
Il
est bien évident que si Nafissatou Diallo avait proposé à DSK de lui
rendre un service sexuel rémunéré, l’armada d’avocats de l’accusé serait
parvenue à faire la preuve qu’elle était une prostituée, comme cela a
été écrit par le New York Post[ 2].
Dans les extraits ci-dessous de Belle et Bête (Stock,
2013), l’on admirera la probité intellectuelle de Marcela Iacub, qui
plutôt que de tenter de dissimuler ses sophismes, a fait le postulat que
son lectorat, libéral, serait capable de supporter qu’elle tienne pour
un innocent celui qui affirme, la patte sur le groin, avoir cru que sa
proie était consentante. Elle assène néanmoins un autre argument, tout
aussi redoutablement solide : celui qu’elle nomme le cochon est
d’autant plus innocent plus qu’elle le range dans la catégorie des
jouisseurs. Car il va de soi que lorsque l’on recherche avant tout son
plaisir et que pour y parvenir l’on ne se soucie aucunement de blesser
ni de « perdre son contrôle », l’on ne peut que respecter l’éventuel
non-consentement de son objet de désir. Vos protestations – si par
hasard vous n’étiez pas persuadéEs, faisant valoir, par exemple, que si
le cochon ne connaît que la jouissance présente, il ne peut envisager
subir à l’avenir les conséquences de violences qu’il aura commises pour
l’éprouver - sont irrecevables. Ce qui proteste en vous, ce n’est ni la
raison ni l’éthique, mais la frustration et le ressentiment des faibles
aux plaisirs sans ampleur. Puisque la cohérence – qui suppose quelque
considération diachronique – n’est que coercition, et que seule importe
la jouissance du présent, voici, rejouant en sourdine les thèmes
pseudo-nietzschéens du ressentiment des faibles à l’égard des forts en
corps :
« Tu
te comportais comme un méchant porc. Tu n’étais plus la victime de la
société, mais mon agresseur, mon bourreau. (…) Le porc a un rapport au
présent que les humains n’ont guère. Il ne cesse de se réjouir de sa
chance inouïe qu’il a d’être vivant, de manger, de courir, de salir, de
blesser, de ressentir. (p. 8) (…)
Je
ne pouvais cesser de trouver ton acharnement admirable, moi qui vivais
comme une nonne recluse dans mon appartement à écrire jour et nuit, à
sublimer mes pulsions. Certes ma manière de voir n’était pas trop
partagée. Les gens qui vivent et baisent sagement sont souvent agacés
par ces excentricités, par ces monstruosités. Ceux qui s’abstiennent
n’aiment pas que d’autres perdent leur contrôle. Il y va presque de
l’idée qu’ils se font de l’humanité. (p. 11). (…)
C’est
le propre du cochon que d’offenser. Mais les cochons ne commettent pas
de crimes sexuels. Autrement je ne t’aurais jamais rangé dans cette race
des cochons. J’aurais cru que tu étais un violeur, un pervers, un
humain véritable et jamais je ne me serais battue pour toi.
Le
cochon profite des occasions mais ne force pas. Il peut se montrer
insistant mais il va de son intérêt de cochon de trouver son bonheur
d’une manière pacifique, ou tout au moins de le croire. Le cochon est innocent de ce point de vue-là.
Il croit, il doit même être sûr que son partenaire consent. Plus
encore. Que son partenaire tire un certain plaisir même si, à vrai dire,
cela ne l’inquiète pas outre mesure. La priorité du cochon est de jouir
lui-même, autrement il ne serait pas un cochon. De jouir sans trop
tenir compte de la psychologie, de la sensibilité, des blessures qu’il
peut produire du fait de ne penser qu’à son plaisir. (p. 13)
Ce
qui s’est passé dans cette chambre légendaire ne peut se comprendre si
l’on ne se met pas dans la tête d’un cochon authentique et véritable.
D’un cochon qui prend une femme de ménage pour Catherine Deneuve dans Belle de Jour.
Seul un cochon peut trouver normal qu’une misérable immigrée africaine
lui taille une pipe sans contrepartie, juste pour lui faire plaisir,
juste pour rendre un humble hommage à sa puissance. Et la pauvre est
revenue dans la chambre pour voir si tu lui avais laissé un quelconque
pourboire mais il n’y avait rien. » (p. 14)
Si
Marcela Iacub doute encore que c’est un portrait de pervers
narcissique, témoignant d’une hybris tyrannique, qu’elle vient de faire,
c’est qu’elle-même, à force de mauvaise foi, a sombré dans la déraison.
Ou qu’elle est naïve au point d’accorder crédit aux déclarations les
plus insensées, dès lors qu’elles servent les intérêts des probables
agresseurs. Mais, à vrai dire, je ne la crois pas plus naïve que « le
cochon ». Si le cochon est innocent, et si la truie est naïve, ce n'est
que de leur point de vue, celui de la mauvaise foi. Dans la mesure où
l'innocence et la naïveté sont des modalités relationnelles, ne
considérer qu'un seul point de vue pour juger de leur
authenticité, c'est tomber dans le cercle du même, et sombrer dans
l'idiotie.
S. Duverger et R. Antoniucci
[1] On notera que le 8 mars 2013, Marcela Iacub consacra sa chronique à vanter « la plénitude du vide » à laquelle Greta Garbo se serait adonnée, selon Renée de Ceccaty, son dernier biographe en date (Un renoncement,
Flammarion, mars 2013). De la sorte confondant le renoncement à avoir
une existence qui ne soit pas seulement fictive et spectrale avec le
refus d’une identité figée et l’affirmation de la plasticité. Confusion
qui n’est sans doute pas hasardée innocemment un 8 mars, journée
supposément dédiée à prendre la mesure des inégalités dont les femmes
pâtissent encore dans les faits plutôt qu’à subsumer Greta Garbo sous la
catégorie de « La Femme qui n’existe pas » de la vulgate lacanienne.
"alors qu’il a été reconnu coupable d’une agression sexuelle sur la personne de l’écrivaine Tristane Banon, et qu’il a vraisemblablement violé Nafissatou Diallo, étant donné l’importance de la somme qu’il lui a versée."
RépondreSupprimerC'est faux : seul un tribunal peut reconnaitre une agression, un crime, un délit. Ce que le Procureur a écrit n'a aucune valeur juridique et n'a pas fait l'objet d'un procès donc DSK n'a jamais été condamné et est donc judiciairement innocent.
Les masturbations intellectuelles des unes et des autres n'y changeront rien. La loi est la même pour tous, pour lui aussi. Non lieu, classement, = casier vierge = innocent. Le reste, c'est de l'intime conviction qui devrait rester ce qu'elle est, intime. Las morale n'est pas la justice.
1. Nous savons, vous savez, ils ou elles savent que le procureur Vance n'a pas abandonné l'affaire parce qu'il avait des doutes sur la culpabilité de DSK.
RépondreSupprimer2. Nous savons, vous savez, ils ou elles savent que "judiciairement innnocent" n'est pas égal à "innocent".
3. Nous savons, vous savez, ils ou elles savent que la loi n'est pas la même pour les puissants (les multimilliardaires) et les misérables (la plèbe) et vous ne m'intimidez pas en brandissant comme l'a fait DSK le prétendu blanc-seing du procureur Vance.
Quant au mot "vierge" il va à DSK comme une culotte à dentelles à un porc-épic.