ANgrywOmeNYMOUS


mercredi 27 juillet 2011

Nafissatou Diallo-DSK ou les fractures du monde



Affaire DSK : nouveau report d''audience fixé au 23 août...à cette occasion, je copie/colle un intéressant article signé Philippe Bernard et paru aujourd'hui sur le site du Monde - Idées et qui témoigne de l'enjeu énorme lié à cette affaire. Ce dont nous avons, bien entendu, tout de suite eu conscience en tant que femmes luttant pour l'égalité, sans quoi nous n'aurions pas créé ce blog.



"Si le sexe et la politique constituent à l'évidence les ingrédients de base de l'"affaire DSK", son scénario peut aussi se lire comme une formidable parabole sur la béance du fossé Nord-Sud, les déchirements liés à l'immigration et à la société de l'information à deux vitesses. Le patron d'une institution parfois accusée d'imposer d'humiliantes contraintes financières au tiers-monde est accusé de viol par une Africaine émigrée. Ce que les Occidentaux perçoivent comme une fascinante intrigue politico-judiciaire est vu par beaucoup d'Africains aussi comme le symbole de l'affrontement entre ceux qui mènent le monde et ceux qui sont soumis à leur loi.

La vitesse, très différente, avec laquelle les informations circulent au Nord et au Sud renforce ce hiatus. Si Internet et surtout le téléphone portable irriguent désormais l'Afrique et la raccordent au village planétaire, l'imprégnation par les nouvelles du monde y reste incomparablement plus lente que dans nos sociétés. En Guinée, Mamoudou Diallo, le frère aîné de Nafissatou Diallo, dit n'avoir appris les "ennuis" de sa soeur qu'une semaine après leur survenue.

Le village de Tchakulé d'où est originaire la jeune femme n'est desservi ni par le réseau électrique ni par celui du téléphone portable. Les émissions de Radio France internationale (en FM) et les chaînes de télévision (par satellite) peuvent y être captées. Encore faut-il disposer d'un groupe électrogène ou de piles.

Avec quelques semaines de décalage, "l'affaire DSK" est devenue aussi une affaire africaine. Nafissatou Diallo incarne désormais la femme africaine dans ses rapports avec les hommes, mais aussi l'immigrée dans sa relation avec les pays riches.

En portant plainte pour viol, que les justices occidentales considèrent - depuis pas si longtemps - comme un crime, elle a amené les Africains à lever le voile sur ce tabou absolu. En Guinée, son pays natal, son geste a en outre ravivé le souvenir du viol de plus de cent femmes, en septembre 2009 dans un stade de Conakry, lors de la répression d'une manifestation. Des victimes avaient osé porter plainte grâce à un soutien international, mais aucun des militaires responsables n'a été inquiété. Des femmes guinéennes se sont donc appuyées sur l'"affaire Nafissatou" pour revendiquer une relance de l'enquête. Les doutes apparus sur la fiabilité du témoignage de la jeune femme menacent de ruiner leur démarche.

Alors que personne ne songe à tirer du comportement de DSK des généralités sur la sexualité de l'homme blanc, la femme de chambre du Sofitel, sainte ou sorcière, personnifie la cause des femmes en Afrique. Quelle ait menti, et les femmes africaines violées risquent d'avoir encore plus de mal à être crues et protégées. Qu'elle ait dit la vérité, elle deviendra une icône et fera progresser le combat des Africaines contre les humiliations. Une cause dont dépend en partie l'avenir du continent.

Dans un livre courageux et percutant (L'Afrique noire est-elle maudite ? Fayard, 2010), l'écrivain malien Moussa Konaté a analysé le lien entre le statut des femmes africaines, la malédiction qui les entoure, et le sous-développement. Il y qualifie la famille polygame - comme celle dans laquelle Nafissatou Diallo a été élevée - de "lieu de confiscation" de la parole et de la pensée de l'individu, et de "torture psychologique infligée non seulement à la femme mais à l'enfant".

A propos de l'excision - que la jeune femme aurait alléguée pour obtenir l'asile aux Etats-Unis -, il évoque une "ablation du désir", un "viol de la personnalité" perpétuant la toute-puissance masculine. De nombreux travaux confirment que l'égalité hommes-femmes est un puissant démultiplicateur de développement.

Mais Nafissatou Diallo n'est probablement plus une Africaine. En franchissant les années-lumière qui séparent Tchakulé de Manhattan, elle a, comme la plupart des immigrés, probablement eu à gérer le grand écart entre sa culture d'origine et les moeurs de son pays d'adoption. Cette transformation peut expliquer sa décision de porter plainte. Elle peut aussi avoir généré des dérives délinquantes. Manipulatrice ? Manipulée ? Victime ? Chacune de ces hypothèses est à replacer dans le contexte de lutte pour la vie qui entoure souvent les premières années d'émigration.

Ses frères restés en Guinée ne peuvent ou ne veulent pas voir que Nafissatou Diallo n'est sans doute plus la jeune fille pieuse et effacée qu'ils ont connue. Vue d'une case de brousse, la fonction d'une "femme de chambre" est mystérieuse et le fait qu'une émigrée, censée être riche, cesse ses envois d'argent, incompréhensible.

A l'inverse, les probables mensonges de l'émigrante Nafissatou Diallo, considérés en Occident comme des infractions aux lois sur l'immigration, paraissent relever de la stricte nécessité aux yeux des masses africaines qui rêvent de fuir. Une fois extraite de son contexte politico-judiciaire, l'"affaire DSK-Nafissatou Diallo" apparaît étonnamment comme un révélateur des fractures de ce monde."
bernard@lemonde.fr

3 commentaires:

  1. intégralité de l'interview de Nafissatou Diallo (traduction française)

    http://www.youtube.com/watch?v=3kBpajDPCS8&feature=player_embedded

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  2. A gloup : je n'arrive pas à voir la vidéo :(

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