ANgrywOmeNYMOUS


jeudi 14 juillet 2011

Wir sind alle Zimmermädchen! 3

Ainsi nous nous penchons au-dessus d'un abîme dans lequel basculent avec l'homme dont il est question, ses amis d'abord, ensuite son parti puis toute la culture politique machiste du pays. Bascule l'ancien ministre de la culture qui déclare "il n'y a pas mort d'homme" (depuis quand alors arrête t-on un suspect ?), à sa suite le grand Robert Badinter, l'homme qui a aboli la peine de mort en France et qui maintenant se plaint que l'on a "exécuté médiatiquement" Strauss-Kahn (mais pour la victime pas un mot).
Plus sûrement encore bascule le fameux journaliste de gauche Jean-Francois Kahn qui dans une première réaction se demande quel est le problème - DSK a troussé une domestique - voilà tout. (Il a essayé depuis de s'excuser en invoquant un surmenage psychique).
Mais le premier à se précipiter la tête la première a été Bernard-Henri Lévy. C'est ainsi : si un ami à lui saute la tête la première dans une piscine vide, il accusera la pesanteur malfaisante de ne pas avoir maintenu un si grand homme en l'air. Du moins le magazine du web Mediapart.fr un peu plus critique que lui a collecté et épinglé ces réactions dans un long article signé Mathieu Magnandeix.
Trois réflexes archaiques de la gauche francaise ont été à l'oeuvre dimanche dernier : la pulsion anti-américaine qui lui fait par principe voir le nouveau monde comme outrancier, agressif et barbare. Étroitement lié à cette pulsion, on a également la pulsion anarchiste qui la fait de toute facon se méfier de l'état et des flics ; les problèmes on les règle entre camarades et les copains se serrent les coudes.
On a volontiers cité la définition suivante : un ami est quelqu'un que tu peux appeler la nuit quand tu as tué quelqu'un et qui t'aide à te débarrasser du cadavre. Dans le cas de DSK, ses amis ont exactement réagi de cette manière, en ajoutant "Ce n'est pas comme cela que je le connais !". Logique - il se trouvait avec une femme moitié plus jeune que lui et dépendante, non pas avec des hommes de son âge.
Le troisième réflexe est issu d'une vieille croyance qui remonte à l'époque des Lumières et jamais remise en question depuis, croyance à la valeur de progrès de n'importe quelle sorte de pratique sexuelle ou de sa représentation. L'historien américain Robert Darnton écrit que les bestsellers secrets de la France pré-révolutionnaire consistaient en des romans pornographiques qui portaient le nom de "romans philosophiques" et véhiculaient des idées de liberté et d'autodétermination associées à des scènes de cet accabit.
Une sexualité sans frein voire animale est depuis considérée, et en particulier chez les héros de la gauche comme Georges Brassens et son hymne "Gare au gorille", comme le meilleur antidote contre le poison anti-vie des dogmes de l'église, de l'armée et de la bourgeoisie.
La barre au-dessus de laquelle un geste passe pour une agression sexuelle est en France placée très haut, il n'y a guère de francaise qui n'ait pas déjà eu à souffrir dans sa vie professionnelle de harcèlements verbaux ou physiques.
Le scandale dans le cas qui nous occupe ce ne sont pas les images du politicien arrêté, en fin de compte le bien-fondé de son arrestation a désormais été examiné par plusieurs juges et tient le coup contre les meilleurs défenseurs du pays. A un moment donné la phrase du sénateur-maire de New-York Mike Blomberg comme quoi "Si l'on ne veut pas être conduit au "perp walk", il ne faut pas commettre de crime" s'avère vraie.
Non, ce qui est effrayant, c'est l'ignorance publique concernant le viol. Le cas traité ici n'a rien à voir avec un débat estival sur l'égarement des puissants, rien à voir avec les réflexions de Kissinger sur le pouvoir qui serait le plus puissant aphrodisiaque, rien à voir avec Kennedy, Lewinsky ou Schwarznegger, rien à voir avec la fille de Mitterrand, les visites de bordel de Giscard et les nuées de femmes "galopantes" de Chirac.
C'est pourquoi le premier ministre Fillon se trompe lorsqu'il fait remarquer que DSK "n'avait pas besoin de forcer une fille". Dans un viol il n'est pas question de sexe, mais de son contraire : d'humiliation par la violence. La soif à étancher n'est pas de nature érotique mais sadique. On s'étonne de voir les socialistes francais présenter le multimillionnaire en victime d'une employée d'hôtel - en en faisant une posture de gauche en plus. Le viol est un attentat à l'encontre de la dignité de la personne et parce que ses effets sont durablement destructeurs, il est comparable à la torture. Il est difficile de concevoir de quelle facon la victime va pouvoir continuer à exercer son métier, qui lui demande d'entrer plusieurs fois par jour dans la chambre d'un homme inconnu.
Maintenant qu'il a été libéré de prison, Strauss-Kahn pourrait parler mais il se tait et s'en remet entièrement aux conseils de ses conseillers en communication.
Complice l'est également une culture politique qui se laisse encore et toujours griser par ce que Jean Tulard appelle "le mythe du sauveur" comme si l'homme politique était toujours un héros historique. Ainsi se crée longtemps avant la victoire électorale une sphère protectrice libre de toute critique et de toute contradiction envers les candidats. Les critiqueurs sont considérés comme des adversaires, les collègues compétents deviennent des concurrents et les marginaux sont percus comme n'ayant aucune valeur. Il n'y a plus que le candidat objectif qui compte. Plus il se tire à bon compte, plus on lui déroule un tapis de louanges et moins les mécanismes de contrôle personnel de ceux-ci fonctionnent encore.
DSK a déclaré à la mère de Tristane Banon qu'il avait sexuellement maltraité il y a dix ans : "j'ai pété un plomb". en effet, les plombs ne se renforcent pas avec la gloire montante, ils s'affaiblissent. Celui qui portait l'espoir de la gauche francaise a de plus en plus été frappé du danger de se servir de ce que les psychologues nomment le "moral self-licensing" : si j'incarne tellement le Bien, alors à un moment donné tout ce que je fais est bien.


Article signé Nils Minkmar (né en 1966, historien de formation, il est journaliste au Frankfurter Allgemeine Zeitung ; (anecdote lu dans sa bio :) il rencontra Bourdieu lors d'un séminaire de doctorat à l'EHESS à Paris), paru dans le magazine féministe allemand "Emma" numéro de l'été 2011, traduit au pied levé de l'allemand en 3 parties par Euterpe

5 commentaires:

  1. Holà monsieur Minkmar, faudrait se renseigner un peu mieux sur tonton Georges.
    Qui n'était pas un héros de la gauche (c'est depuis qqes semaines qu'il le devient, curieusement) puisqu'il était anar libertaire et mettait dos à dos tous les partis;
    de plus la chanson 'Le Gorille' est un plaidoyer contre la peine de mort, s'amusant aussi du fait que la plupart messieurs ne soient pas aptes à donner du plaisir aux dames (confer d'autres chansons qu'il a pu commettre) et s'amusant aussi du tabou sur l'homosexualité (métaphoriquement).
    Cependant, merci Hypathie pour la traduction.

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  2. Merdoume, je voulais dire:
    Merci Euterpe pourla traduction.. si qq'une peut modifier mon précédent comm... voilà ce que c'est de faire 3 trucs en meme temps.

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  3. Il faut en finir avec "ce que Jean Tulard appelle "le mythe du sauveur" comme si l'homme politique était toujours un héros historique", je cite : je crois que l'accession des femmes au pouvoir suprême permettra justement la fin ce de mythe de l'homme (mâle évidemment) providentiel. C'est très dangereux et ça conduit à l'abîme la plupart du temps.

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  4. A mebahel : j'ai voulu faire vite, je ne me suis donc pas tellement éloignée du mot à mot et c'est plus une ébauche de traduc parce que l'article est long et je veux en traduire d'autres, en fait.
    Pour le gorille, ok mais il y a quand même le fait que la gauche se réclame de Brassens et que dans cette chanson il est question de violence sexuelle (animale) comme thérapie (genre)!

    A Hypathie : exactement. et c'est aussi l'un des passages qui m'a le plus motivée pour traduire ce texte.

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  5. "la gauche se réclame de Brassens"
    depuis pas longtemps, c'est ça que je dis.

    "violence sexuelle (animale) comme thérapie (genre)"
    pas d'accord, la violence sexuelle est destinée au juge, donc à son anus, cad non genrée en somme.
    Bon c'est pas le sujet ici, merci de toute façon pour la traduction, c'est là que je regrette de ne pas comprendre une broque de deustch.

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