En mars dernier, le gouvernement du Québec injectait 800 000$ dans une campagne publicitaire destinée à encourager les victimes d'agressions sexuelles à dénoncer leur agresseur. À ce jour, il demeure trop tôt pour évaluer les retombées du plan. Mais on sait que les campagnes de sensibilisation dans les médias ont une portée essentiellement pédagogique. Elles n'atteignent pas nécessairement les victimes. Pas assez, du moins, pour les convaincre de porter plainte.
Les sexologues sont familiers avec les victimes qui, pour une raison ou une autre, refusent de dénoncer leur agresseur. La majorité de ces raisons a comme dénominateur commun, la peur: peur de ne pas être cru, peur d'être blâmé, etc. En effet, vivre les aléas d'un procès de nature criminelle n'est pas une mince affaire. Elle implique temps et argent, en plus d'un revécu traumatisant et l'humiliation des longs interrogatoires. Il n'est pas rare pour un thérapeute de constater une détérioration de l'état psychologique de son client en cours de procédures judiciaires. Pas étonnant que le taux de dénonciation soit particulièrement faible dans les cas de crimes sexuels, ne dépassant guère 10%! C'est donc dire que 90% des agresseurs ne seront jamais importunés.
Malgré ces obstacles, plusieurs études confirment que la dénonciation de l'agresseur comporte d'importantes vertus curatives pour les victimes. Elle leur permet notamment de regagner un sentiment de contrôle sur leur vie en agissant à titre de protecteur face à des victimes potentielles. C'est un fait, les agresseurs qui ne sont pas coincés continuent généralement à perpétuer leurs crimes. Une étude rapporte que les auteurs de viols comptent en moyenne 5,8 victimes à leur dossier. Et ce problème continuera à se perpétuer au fil du temps s'il est gardé sous le silence.
Un autre facteur d'influence dans la convalescence des victimes repose sur le rapport qu'elles entretiennent avec leur collectivité. L'intervention légale des autorités dans le dossier peut restituer la confiance de la victime envers sa communauté, une confiance qui ne peut être rétablie tant et aussi longtemps que l'agresseur subsiste en toute impunité. La reconnaissance collective de la souffrance vécue par la victime est également très salutaire à son rétablissement.
Les cas médiatisés ont un impact colossal sur la propension des victimes à dénoncer ou non leur agresseur, dépassant à mon avis toutes les campagnes de sensibilisation possibles. En 2004, les condamnations de deux personnalités connues et respectées, Robert Gillet à Québec et Guy Cloutier à Montréal, ont eu un effet boeuf sur plusieurs victimes qui ont alors décidé de dénoncer, souvent des décennies après les faits. D'aucuns ont salué le courage de Nathalie Simard et plusieurs victimes ont suivi ses traces. Tout le système a dû s'ajuster à cette hausse subite de dénonciations, notamment les Centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC) qui ont connu à la même époque un développement spectaculaire. L'issue désastreuse qu'a connue l'affaire DSK aura eu l'effet contraire. La victime serait tout à coup devenue un obstacle plutôt qu'un atout à sa propre justice. Le passé imparfait de Nafissatou Diallo aura eu raison de son entière crédibilité. Comme vous et moi, des milliers de victimes ont été témoins des aléas de cette histoire et se demandent aujourd'hui si elles sont assez « parfaites » pour avoir droit à un procès.
Il est vrai qu'au Canada, contrairement aux Etats-Unis, l'accusé ne peut attaquer la crédibilité de la victime en l'interrogeant sur ses moeurs sexuelles antérieures. Mais l'affaire DSK a eu un retentissement mondial. Les règles de droit importent donc peu dans ce contexte. C'est plutôt l'image de la charge titanesque qui attend les victimes et leur crainte de ne pas être crues qui aura pour effet de les démobiliser.
Caroline Messier-Bellemare, M.A
sexologue clinicienne et psychothérapeute
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